Avec Soleil noir, vous tournez le dos aux héros de vos précédents romans et à l’entre-deux guerre. Adieu ou parenthèse ?
Patrick Pécherot. Le cycle Nestor est clos. Le jeu consistait à créer un personnage inspiré du Burma de Léo Malet et de lui donner une vie antérieure. Mon Nestor commence ses aventures en 1926, l’année où Malet monte à Paris, et les achève début 1941, au stalag d’où sortira, un an plus tard le vrai Burma dans 120 rue de la gare. La trilogie commencée avec Les brouillards de la Butte s’achève avec Boulevard des branques. La boucle est bouclée. Mes petits héros de papier me manquent un peu, mais faut savoir se tenir à un projet, tourner des pages et ne pas s’enfermer. Qui sait, peut-être retrouverais-je un jour Nestor, son Yvette et leurs acolytes ? Mais ce sera à l’improviste, au détour d’une rue, comme on retrouve de vieux amis après une longue absence…D’ici là, un peu d’eau aura coulé sous les ponts.
A travers la préparation d’un braquage, vous illustrez un des fondamentaux du roman noir. Pour autant vos braqueurs ne sont pas tout à fait des figures classiques …
P.P. Si on entend par figure classique des truands professionnels, effectivement, mes personnages n’en sont pas. Seuls Simon et Manu appartiennent au milieu. Les autres sont des occasionnels qui effectuent leur premier coup poussés par les aléas de la vie. Félix, additionne déboires sentimentaux, existentiels et sociaux avec, en dernier coup de massue, le chômage, ce qui, vu ses cinquante ans sent la fin de parcours. Brandon est la figure du caillera qu’un ancien ministre de l’intérieur voulait nettoyer au karcher. Un jeune gars qui n’a jamais connu autre chose qu’un quartier relégué. Un mélange d’inculture et de culture des rues, aux prises avec une difficulté terrible de communication. Il a des talents mais personne ne les a repérés. A part Simon. Zamponi, l’artisan maçon, est un tout petit patron qui essaie de ne pas se noyer. Il est la figure de ces largués, qui, à force d’échec, s’enferment dans l’aigreur. Electoralement parlant, il pourrait appartenir à ces errants du bulletin de vote qui vont de l’abstention au front national en passant par l’extrême gauche. Maurice, le convoyeur ne veut plus risquer sa peau au service d’employeurs pour lesquels la sécurité vaut moins cher qu’un plein de super… Chacun d’entre eux, se débat dans une société qui les pousse vers les marges. Leur parcours n’est pas si atypique. La trajectoire qui pousse un individu vers la délinquance est généralement complexe. Même chez les pros du banditisme il y a toujours eu une première fois. En 2007, la Direction centrale de la police judiciaire recensait, dans les rangs des braqueurs, 11% de chômeurs, 11% d’employés, 6% d’ouvriers. Mon panel n’est pas déconnecté de la réalité…
L’humour est toujours présent mais le ton est plus sombre que dans vos précédents romans…
P.P. Si on fait référence aux trois derniers, sans aucun doute. Nestor était un personnage très gouailleur. Continuer sans lui dans cette tonalité n’aurait pas eu de sens. Je suis revenu à ce qu’Aurélien Masson, le responsable de la Série Noire, a appelé, « le classicisme noir ». A travers une figure imposée, la préparation d’un braquage en milieu clos, je me suis attaché aux trajets des protagonistes, à ce qui pouvait conduire un type ordinaire à basculer. Ses fêlures, la rupture de sa trajectoire. La même mécanique qui peut transformer votre voisin de palier en SDF. On ne la voit pas forcément agir. Et pourtant… Mes braqueurs sont des hommes poussés vers une certaine exclusion sociale. Pour en parler, un ton plus noir s’est imposé.
Les souvenirs de Félix et la mémoire de son oncle disparu donnent une certaine mélancolie au récit …
P.P. La cinquantaine est un âge mélancolique. Votre chemin se jonche de disparus, on est sur l’autre versant de la pente…Les souvenirs prennent des teintes sépias, des odeurs de fleurs séchées… Félix est dans une impasse existentielle, sociale, sentimentale…Il décroche de tout. Sa seule planche de salut est celle du souvenir. Les jours d’innocence que sont ceux de l’enfance, la mémoire de son oncle dans la maison duquel se prépare le braquage...La recherche du passé est sa façon de continuer à vivre. Ou plutôt de ne pas mourir tout à fait.
Bien que contemporaine, l’histoire, comme dans la plupart de vos récits, se déroule sur un fond historico social. Cette fois, il s’agit de l’immigration polonaise des années trente. Pourquoi ce choix ?
P.P. Par fidélité peut-être. Les parents de mon épouse, aujourd’hui disparus, sont arrivés de Pologne à cette époque. Leur vie n’a pas franchement pas été un lit de roses... Mais aussi, en réaction à certaines attitudes de repli qui se sont manifestées lors de débats récents autour de l’Europe. Devant les peurs cristallisées autour du fameux « plombier polonais », j’ai éprouvé le besoin de rappeler les souffrances endurées, le rejet dont ont souffert ces gens il y a soixante dix ans. C’est une façon de souligner la permanence des méfiances vis-à-vis des populations d’origine étrangère, d’où qu’elles viennent. Ces « étranges étrangers » dont parlait Prévert. Chaque région du monde a fourni ses boucs émissaires. Aujourd’hui, certains discours pointent les différences culturelles, religieuses des populations originaires du continent africain comme une difficulté à l’intégration. Il est frappant de relire ce qui s’écrivait dans les années trente sur les « Polacks » ou les « Ritals ». On y retrouve à peu de chose près les mêmes stéréotypes sur le caractère prétendument illusoire de leur intégration. Pourtant, on pouvait difficilement faire plus catholiques. Autre similitude : le recours aux expulsions. A la fin des années trente, elles étaient massives et frappaient y compris des gens en situation régulière. Les premiers immigrés à avoir connu les charters (à l’époque, il s’agissait de trains) sont les Polonais. Sur les 150 000 qui, de 1931 à 1935 sont repartis chez eux, près de 70 000 ont été expulsés. Le gouvernement venait de promulguer des lois sur la protection du travail national, une forme de patriotisme économique avant l’heure... Ecrire est aussi une façon de ne pas oublier.
Voir également l’entretien avec Patrick Pécherot sur le site Gallimard (rubrique vidéo)
Propos recueillis par Scup pour pecherot.com