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...C’est bientôt Noël, on va essayer de ne pas complètement sombrer dans la mélancolie effarée, et se consoler un peu, ce qui, toujours, signifie reprendre des forces, en lisant Belleville-Barcelone. Ce n’est pas que ce polar brille par la franche gaîté, non plus que par un optimisme échevelé. Non. Mais il fait revivre la dignité intellectuelle, l’intégrité morale, le désir debout de changer le monde, de changer la vie. Même quand ce sont ceux qui crient « Vive la mort ! » qui gagnent. On est en 1938. Bientôt la fin du Front populaire. La Cagoule est en pleine forme. L’extrême droite fait ce qu’elle peut pour renverser la République. D’autres ne seraient pas tout à fait en désaccord - plutôt Hitler que le Front populaire. En Espagne, les Républicains sont en train de perdre. Le héros est détective privé, un genre de Nestor Burma dans la version qu’en avait donnée René Dary, un Parisien des faubourgs, gouailleur, rigolard, castagneur si besoin est, rien à voir avec l’ennuyeux Léo Malet, ce Nestor-là est rouge, et têtu, et rêveur, et il a pour amis un Arménien de Belleville, André Breton lui-même, un magicien dont la partenaire est une authentique voyante, entre autres, et il va se retrouver mêlé à de tristes et brutales histoires d’assassinats politiques, liés aux affrontements entre libertaires, trotskistes et communistes « orthodoxes », sur fond de guerre d’Espagne, et de déchirements entre Républicains, et de menées du NKVD. Évidemment, on est retourné, comme avec le Land of Freedom de Ken Loach. Mais il y a là des héros, des types normaux qui ont décidé de mettre en accord leurs idées et leurs actes, il y a la beauté des idéaux, malgré, malgré tout, il y a la vitalité du peuple, et l’invention permanente de la vie qui va, et l’oeil de Breton qui voit cette magie discrète et folle, et l’allant du récit, sourire en coin et détails frétillants, et c’est l’histoire d’une défaite, d’une tragédie, et pourtant, on est gaillards, on est un peu fêlés, mais amoureux des possibles, sans ignorance, sans facilité. Ce n’est pas un conte de Noël, mais c’est un cadeau, triste, vitalisant, embellissant.
© Evelyne Peiller, l’Humanité (21/12/2007)