Soleil noir, ressorti en Folio Policier, est moins connu que vos autres romans…
P.P. A sa sortie, Soleil noir a bénéficié d’une bonne presse, il a été nominé à plusieurs prix mais il n’a pas complètement trouvé son public. Peut-être, après la trilogie, des lecteurs attendaient-ils un nouveau Nestor ? Ou du moins un bouquin dans la veine. Je voulais faire autre chose. Il est parfois difficile d’être là où on ne vous attend pas. Sa reprise en Folio policier devrait lui faire vivre une nouvelle vie, plus ancrée dans la durée. En tout cas, elle traduit le soutien qu’apporte une maison d’édition à ses auteurs. Porter un livre, y compris à travers la synergie des différentes collections qu’elle propose en est un. En plus, je trouve la couverture splendide. De quoi me plaindrais-je ?
Vous parliez de la presse, vous y êtes sensible ?
P.P. Bien sûr. En tant que lecteur, les critiques me guident souvent dans mes choix. Sans eux, il est des tas de livres dont j’ignorerais l’existence. En tant qu’auteur, l’avis des critiques est précieux. Pas forcément parce qu’ils aident à la diffusion (le pire est encore de ne pas avoir de critiques), mais aussi par le regard extérieur qu’ils portent. Un auteur manque de recul sur sa propre production. J’écoute aussi les libraires et les lecteurs que je peux rencontrer. Les avis aident à travailler. La seule chose que je n’aime pas ce sont les jugements à l’emporte-pièce.
Comme ?
P.P.Comme ce commentaire paru sur un blog qu’on ma fait passer récemment, à propos de Soleil noir justement. « Pécherot s’attarde sur des personnages et emprunte des chemins de traverse, aux dépens du suspens : on a droit à l’inventaire de l’armoire du vieil oncle, aux souvenirs d’enfance du neveu, à des couplets sociaux sur les prisons surpeuplées ou sur l’expulsion des Polonais avant la deuxième guerre mondiale. Le lecteur, comme les braqueurs, prend son mal en patience, mais si ce type de polar a vocation à être lu, agréablement, dans le train, l’auteur devrait penser que les TGV sont rapides et que 300 pages, c’est ici un tiers de trop, à moins de finir dans le métro ! »
L’expression d’une opinion est légitime…
P.P.Bien sûr, mais si je cite celle-ci en exemple, c’est parce qu’elle déborde de la critique d’un livre pour aborder un genre - le polar - en reprenant finalement les étiquettes qu’on lui collait il y a 20 ou 30 ans pour le cantonner à la littérature de gare et lui assigner dans ce cadre une fonction intangible dont il me semblait sorti depuis belle lurette. Les vieilles antiennes ont la vie dure.
Le polar se veut un genre populaire, certains auteurs revendiquent d’ailleurs un cousinage, voire une appartenance, avec la littérature qu’on a baptisée « de gare »
P.P. Je ne sais pas s’il existe une bonne définition de la littérature populaire. Pour avoir participé à moult débats sur le sujet, je balance toujours. En revanche, j’avoue ignorer ce qu’est un livre qui serait destiné à être lu dans le train. J’utilise la Sncf quotidiennement, mes dernières lectures ferroviaires vont de Guillevic, à Petr Kràl en passant par Eric Holder, Anne Steiner, Sylvie Germain et la relecture de Calet, Hemingway et Christian Bobin. Tiens, pas de polar… J’ai dû faillir aux règles : un pavé d’évasion sur la plage, un petit rompol dans le train et un livre de poésie à la terrasse d’un café, en laissant négligemment apercevoir le titre. Personnellement, je lis aussi aux toilettes, que dois-je y emporter ?
La littérature de gare recèle des petites merveilles, l’équivalent de certaines séries B au cinéma. Rapidité, rythme, trouvailles, concision du récit...
P.P. Au-delà de l’appellation, somme toute pratique, je ne sais ni ce qu’est aujourd’hui la littérature de gare, ni même si elle existe. Quel est le fil rouge de l’offre proposée par les Relay, Virgin et autres diffuseurs qui y officient, si ce n’est des titres dont les ventes ont plutôt fait leurs preuves (et encore, mes dernières acquisitions à St Lazare sont deux biographies de Simone Weil…) ? On nommait jadis « littérature de gare » ce qui était assimilé par les tenants du bon goût - une certaine bourgeoisie - à une sous culture supposée produite rapidement, toujours vite lue et avec excuse (passer le temps du voyage). On éprouve aujourd’hui envers elle une nostalgie d’autant plus forte qu’on n’a pas cessé de la recréer à l’aune de sa propre mémoire ou de fantasmes lorsqu’on ne l’a pas connue, voire d’un soupçon de branchitude esthète… Franchement, près des trains, on trouvait surtout de sacrées merdes. Gérard de Villiers s’y vendait mille fois mieux que n’importe quelle perle de série B chère aux amateurs dont je suis. Quant à la taille des ouvrages, c’est au nom du ratio distances kilométriques/nombre de pages que Chandler, Hammet et d’autres ont vu leurs textes tronçonnés pour satisfaire le temps de cerveau jugé disponible d’un voyageur moyen. D’ailleurs, au fil des performances technologiques, lorsqu’un TGV aura doublé sa vitesse de pointe, une nouvelle de Brautigan fera peut-être figure de récit à dégraisser.
Les impératifs peuvent être des aiguillons à la création…
P.P. C’est vrai, mais passer la lecture au moule d’un impératif, horaire en l’occurrence, illustre un certain air du temps que je ne suis pas sûr de vouloir respirer. Je n’ai rien contre les contingences. Pas même contre les contingences économiques. Des budgets minimalistes ont donné lieu à des films fabuleux parce que les auteurs, en s’y adaptant, on été à l’essentiel. Quand les big band de jazz sont devenus trop onéreux, on est passé aux formations réduites, quintet, quartet et trios ont alors engendré une autre écriture. Ce que je récuse c’est l’utilitarisme, les présupposés et les formatages qui en découlent. En matière de presse, ils ont donné naissance à des journaux réduits au factuel, vides de toute analyse. Libre à moi de préférer Le Monde à 20 minutes, puisque tel est le temps pendant lequel on tente de nous persuader que se fait la lecture d’un journal, le cul sur une banquette. On peut juger qu’un bouquin traîne en longueur, c’est peut-être le cas de Soleil noir. Mais de grâce, qu’on ne recycle pas, même involontairement, les vieilles idées qui faisaient regarder - dans le meilleur des cas - le polar, la SF ou le western comme des produits certes distrayants mais avant tout bons pour les trains. Cette condescendance persistante traduit l’ancrage culturel des préjugés de classe.
Vous revendiquez une écriture vagabonde ?
P.P. Oui. Absolument. Tout est affaire de dosage bien sûr, un roman se doit d’aller quelque part, mais j’aime les chemins de traverse et les petits cailloux. Dans Autoportrait au radiateur, Christian Bobin a écrit là-dessus une des plus belles choses que j’aie lue à propos du polar. « Dans un livre policier, soudain, quelques pages inutiles à l’histoire : des considérations amusées sur la peinture des impressionnistes. C’est ce genre de miracle que je cherche dans les livres - les digressions, les zones perdues, les terrains vagues. Si ces pages sur la peinture avaient figuré dans un livre d’art, elles m’auraient moins plu. De même si le roman policier avait tout sacrifié à la poursuite de son histoire. Mais non, au beau milieu du désastre, on s’arrête, on allume une cigarette et on parle de la lumière des cerisiers en fleurs. »
Propos recueillis par Scup pour pecherot.com