Des braqueurs aux grands cœurs
Quand quatre marginaux préparent l’improbable attaque d’un fourgon blindé. Entre polar et roman social.
La ville n’est pas nommée, mais on pourrait penser à une ville du Nord, une de ces villes où la crise économique des trente piteuses a laissé des friches industrielles qui ressemblent à des cicatrices de bombardements massifs. L’époque n’est pas située, mais c’est sûrement la nôtre puisque les jeunes s’appellent Brandon, sont surdoués en informatique, passent leur vie avec un MP3 aux oreilles qui leur déverse du rap directement dans le cortex et que les vieux sont vieux à cinquante ans dès qu’ils se retrouvent au chômage. Mais on pourrait aussi être dans les années 1970 : les bistrots de ces villes-là sont immuables, les maisons en brique ou en meulière aussi, tout comme les acronymes inimitables de la technocratie pompidolienne : on a des ZAC et des ZUP qui font presque anachroniques en regard des CDD et des TGV. Et puis, pour références cinématographiques, il y a les films de Sautet, et l’on regrette, à l’occasion, L’An 01 de Gébé : « On allait tout arrêter et ce ne serait pas triste. Les chaussettes en laine vierge piquaient comme des orties, le suint de nos gilets afghans aurait refoulé un troupeau de moutons en rut, mais c’était mère Nature. »
Une mélancolie définitive
Patrick Pécherot, dans ce Soleil noir, réussit avec un certain talent à superposer les lieux et les époques pour créer un espace incertain où va se jouer un des grands classiques de la littérature noire : l’attaque d’un fourgon de transport de fonds. La base arrière en sera un petit pavillon que le narrateur, chômeur récent, un rien aboulique, vient d’hériter d’un vieil oncle à qui il doit ses seuls souvenirs d’enfance un peu lumineux. Pour couverture, une PME du bâtiment, à la limite du dépôt de bilan, qui prétextera des travaux de réfection de la maison avunculaire et surveillera le trajet du fourgon s’arrêtant chaque semaine à un feu de circulation juste devant la grille. Tout en préparant le braquage, le narrateur découvre une malle pleine de journaux des années 1930, parce qu’un personnage de Pécherot qui ne prend pas le passé en pleine figure ne serait pas tout à fait un personnage de Pécherot.
Il y a du Henri Calet dans Soleil noir comme il y avait du Léo Malet dans la précédente trilogie de l’auteur sur la guerre d’Espagne et les débuts de l’Occupation. La détresse des personnages ne monte jamais le ton, ils ont une mélancolie définitive, ce soleil noir qui, justement, accompagne chacun de leurs pas. Et tout cela va, bien entendu, se terminer très mal, dans la violence des fusillades inévitables.
© Jérôme Leroy, Le Figaro
813.fr
Jean-Marc Laherrère
...Dans ce magnifique roman, Patrick Pécherot prend complètement le lecteur à contre-pied. On s’attend à une nouvelle histoire de casse, avec préparation minutieuse, contretemps de dernière minute, puis le coup, et ses conséquences (sans doute négative, on est quand même dans un roman noir) et on se retrouve avec un roman social, et un portrait groupe avec braquage. L’enquête et le suspense arrivent petit à petit, là où on ne les attend pas, dans la recherche apparemment secondaire du passé d’un défunt. Les personnages que l’on s’attend à haïr ou à mépriser se révèlent touchants. Tous sont saisis dans leur malheur, leurs défauts, leur bêtise parfois, mais surtout leur profonde humanité. Aucun n’est angélique, aucun n’est exonéré de ses fautes, des catastrophes qu’il provoque, tous sont compris. Derrière le quatuor, donnant son relief et sa couleur au roman, il y a tous les seconds rôles, tous aussi soignés et aimés que les braqueurs. Que ce soit le vieux boxeur à moitié sonné, les patrons du restau ouvrier qui se met à renaître, les papis, miraculés, qui sortent de nouveau de leur mouroir ... ou la jeune journaliste stagiaire, et le vieux copain un peu casse-bonbons mais tellement fidèle et tellement dévoué. Tous sont justes, tous sont beaux, tous sont émouvants. Et puis il y a la nostalgie, les sons, les odeurs de l’enfance qui reviennent. Plus loin encore dans le passé, une France qui traitait déjà ses immigrés comme du bétail, variable d’ajustement d’une économie qui prend les hommes quand elle en a besoin et les jette quand ils ont tout donné. Une France qui parlait des Polonais comme elle parle aujourd’hui des racailles de banlieues qu’il faut nettoyer au kärcher. Il y a tout cela dans ce superbe roman.
© Jean-Marc Laherrère, 813
92 express
Didier Lamare
Mortels du Nord
Enfant de Courbevoie, écolier à Puteaux, Patrick Pécherot est l’un des écrivains nécessaires au polar moderne. Après des détours sur les chemins du Paris popu d’autrefois, il revient avec un roman du contraste contemporain : noir comme le soleil, lumineux comme un regret.
Contrairement à Terminus nuit, ce Soleil noir ne se lève pas sur notre boucle de Seine mais aux marches de notre monde post-industriel, dans ce Nord où il y avait des corons, mais il n’y en a plus. Où il n’y a d’ailleurs plus grand-chose si ce n’est les souvenirs, la maison d’enfance du narrateur et la mémoire des immigrés polonais. Une zone de rien traversée par la route, sur laquelle, tous les jours, des convoyeurs de fonds convoient des fonds, jusqu’à la grève inattendue... Il n’en faut pas plus pour faire tourner la machine du polar, le redoutable engrenage du pire et du rire, comme dans les meilleurs films des frères Coen. Avec le style Pécherot, détonante chimie de modernité et de gouaille d’antan - un don peut-être de l’Arletty de Courbevoie... « Quand les dés sont jetés, il faut les boire. » Pendant le temps suspendu aux revendications syndicales, le no man’s land frémit autour d’un bistrot - torchon rouge à damier, pichet facile, bourguignon fumant - exactement comme dans nos souvenirs mais qu’on croyait avoir oublié. Ce roman, c’est ’histoire d’une résurrection malgré tout, le paradis pavé de mauvaises intentions. Une sacrée galerie de personnages aussi : vieillards indignes en permission de mouroir, artisan maçon au bord du ravalement, fantôme d’adolescente aux pommettes slaves...et un fabuleux bloc d’ombre et de rap, surgi de la cité en capuche, branché clip et processeur. On savait que le polar est l’héritier du roman social. Pécherot va plus loin : il nous donne un fragment de sa recherche du temps gâché.
© Didier Lamare, 92 express
Madame Figaro
Christian Gonzalez
Ils sont quatre, des au-bout-du-rouleau qu’un mauvais hasard de bistrot a réunis, des apprentis malfaisants qui se sont fourrés dans le crâne d’attaquer un fourgon blindé. Et, bien sur, ces braqueurs à la petite semaine s’imaginent avoir tout prévu parce que c’est toujours comme ça avec les demi-sels. Il y a Félix, que la vie a mis sur le flanc et qui vient d’hériter de son défunt tonton une baraque décrépie dans une banlieue quasi sinistrée. Et encore Simon, truand à idées mirifiques mais carrément sur le retour ; Zamponi, artisan criblé de dettes et de désillusions, et Brandon, rappeur bas de plafond. Pour mieux guetter le fourgon, ils font mine de retaper la maison. Comment auraient-ils pu supputer une grève des convoyeurs ? Sauf que, bien sûr, quand la scoumoune vous colle depuis toujours aux basques, il ne faudrait jamais miser sur la moindre embellie...Le dérisoire et pathétique crépuscule de ses minus piégés dans un décor fantomatique, Patrick Pécherot le raconte avec une verve anarchiste irrésistible, un sens de la formule qui crépite et une ironie non exempte de tendresse. Il y a aussi la nostalgie qui n’en finit pas de pointer l’oreille pour mieux laisser entendre que, sans en avoir l’air, il suffit d’un rien, à l’instant où l’on baisse la garde, pour se fourvoyer dans les impasses de la vie. Un roman superbe où l’espoir s’effiloche comme une promesse sans cesse trahie.
© Christian Gonzalez, Madame Figaro
813
Natalie Beunat
Le livre aurait pu s’intituler « Pas-de-Calais année zéro ».Ils sont quatre et ils rêvent d’une autre vie. Chacun dans sa catégorie et tous ensemble sur un coup foireux. Félix, le mélancolique, aussi mal à l’aise dans son statut de récent chômeur que dans celui de l’unique héritier (son oncle décédé lui a légué une maison). Zamponi, l’artisan au bord de la faillite, à présent bien décidé à se la jouer chef de chantier plus vrai que nature. Brandon, le petit gars des cités devenu un as de l’informatique, le technicien, dont. Et enfin, le cerveau de la bande, Simon, le truand authentique, celui qui veut penser le braquage comme une œuvre d’art.
Tout le monde ici, les deux flics compris, passera à côté de son histoire, mais pas à côté de l’Histoire. On ne dira ni comment, ni pourquoi pour ne rien dévoiler du suspense de ce récit construit comme un pont entre passé et présent. L’ostracisme dont furent victimes les immigrés au début du XXème siècle, qu’ils soient Polonais, Italiens, Portugais, résonne avec des accents de déjà vu. Comme si la France n’avait finalement rien appris en un siècle.
Il y a quelque chose du film de Sam Karmann, A la petite semaine, dans Soleil noir, avec ces héros à la fois pathétiques et flamboyants car même si l’on perçoit dès le début que leu belle entreprise a bel et bien du plomb dans l’aile, on y croit. Sans doute parce que l’écriture foncièrement compassionnelle de Patrick Pécherot nous entraîne dans le rêve de ces quatre là.