Télérama

Christine Ferniot

Dès les premières lignes,le lecteur sait : Tranchecaille est fusillé. On l’accuse d’avoir assassiné un officier au cours d’un assaut. Au Chemin des Dames, pendant cette guerre qui n’en finit pas, il est difficile de faire la part des choses. L’accusé est-il un paumé qui n’a pas eu de chance ou un roublard qui joue les candides ? Patrick Pécherot construit sa fiction autour des témoignages qui permettront au capitaine Duparc, chargé de sa défense, de comprendre la vérité. Porté par son sujet, Patrick Pécherot réussit un grand roman noir, multipliant les points de vue à l’aide d’une construction et d’une écriture à la fois brillante et sobre.

© Christine Ferniot, Télérama



Historia

Joëlle Chevé

Jonas, dit Tranchecaille, accusé d’avoir tué son lieutenant d’un coup de baïonnette dans le dos au cours d’un assaut, est bon pour le peloton. Avec ses yeux de veau, son air de gredin, et ses pantalons trop grands, il a la gueule de l’emploi, et puis ça fera un exemple ! Son avocat, le capitaine Duparc, mène l’enquête entre le front et Paris où la marraine de guerre de Tranchecaille a été assassinée. Mais alors que les hommes tombent par milliers sur le Chemin des Dames, pourquoi sauver le soldat Jonas ?

© Joëlle Chevé, Historia

Médiapart

Anthony Maranghi

Patrick Pécherot signe Tranchecaille à la Série Noire. C’est l’histoire (le procès) d’un fusillé pour l’exemple durant l’été 1917. Lors d’une sortie de tranchée, un officier est tué par un de ses soldats. Tout semble accuser un poilu, un type simple, bougon, colérique, Jonas, surnommé Tranchecaille. Un officier est chargé de mener l’enquête mais cette justice est parodique, pour la forme, et la frime. Alors qu’on comprend que Tranchecaille n’y est (probablement) pour rien, que le coupable est repéré, la hiérarchie accélère la procédure et fait exécuter Jonas. Un récit à la tonalité grise : Pécherot évite le noir et le blanc, la victime inquiète, le bourreau est sans illusion.

© Anthony Maranghi, Médiapart

Le Temps (Suisse)

Roger Gaillard

Meurtre par temps de guerre

C’est par milliers que se comptent, en temps de guerre, les meurtres légaux prescrits par le clan, la nation ou la religion. Un cadavre de plus ou de moins, quelle importance ? Il est dès lors tentant de camoufler en crime de guerre un meurtre commis pour des raisons toutes personnelles. Passionné d’histoire, Patrick Pécherot revient sur les horreurs de 14-18 dans Tranchecaille, roman choral évoquant le procès d’un troufion paumé, Jonas, accusé d’avoir assassiné son lieutenant à coups de Rosalie, la baïonnette des poilus. L’épisode se situe peu après l’offensive du général Nivelle, en 1917, qui a tourné à l’hécatombe. Englués dans leurs tranchées, les soldats en ont ras les bottes. Mutilations volontaires et mutineries se multiplient. Il faut donc fusiller des réfractaires... mais le naïf Jonas n’a pas le profil d’un révolté, comme tente de le prouver le capitaine chargé de sa défense. Trame policière et trame historique se superposent à travers une mosaïque de courts chapitres, interrogatoires, témoignages, échanges de lettres ou récits de brèves permissions à Paris, côté bars, bordels et désillusions. Patrick Pécherot a de la gouaille, du style et du souffle, le sens du dialogue et de l’image. Il sait camper en peu de mots des personnages bien ciselés. Il sait aussi toucher par l’évocation sensible de la vie quotidienne de soldats harassés, mais encore capables de courage et de solidarité.

© Roger Gaillard, Le Temps

Syndicalisme Hebdo

Philippe Réau

Tranchecaille, c’est Jonas, un poilu accusé d’avoir trucidé son lieutenant dans le dos, à la baïonnette. Nous sommes en juin 1917 après le fiasco de l’offensive du chemin des Dames qui a tourné au massacre, 100 000 morts pour la gloriole du "boucher Nivelle" finalement mort, lui aussi, mais dans son lit comme beaucoup de généraux. Le capitaine Duparc, chargé de défendre le soldat devant le Conseil de guerre, mène l’enquête pour tenter de découvrir si Jonas est vraiment un tueur d’officier, un mutin ou simplement un pauvre type ballotté par l’horreur des circonstances.
Avec ce roman, Pécherot nous plonge encore une fois dans le noir de la Série et dans celui, encore plus profond, de la guerre de 14, du désespoir de ces types au bout du rouleau, envoyés au casse-pipe pour rien. A travers l’enquête du capitaine Duparc, il nous fait cheminer dans ce que pouvaient être la vie et la mort dans les tranchées, mais aussi à l’arrière, où des soldats hébétés, sortis pour un temps de l’enfer, se trouvent dans l’incapacité de faire comprendre et de dire l’innommable de cette bataille absurde. Naissent alors des malentendus tragiques... Patrick Pécherot a écrit une dizaine de romans, il a été Grand Prix de la littérature policière en 2002. Il est ancien rédacteur en chef de Syndicalisme Hebdo.

© Philippe Réau, Syndicalisme Hebdo

L’Alsace

Jacques Bertho

La Série Noire avait déjà mis ses croquenots boueux dans les tranchées de la guerre 14-18 : Le Boucher des Hurlus avait jadis étalé tout le talent de Jean Amila dans un puissant roman dénonciateur. Patrick Pécherot monte à son tour au front pour évoquer habilement, au fil d’une enquête, tout l’univers de la Grande Guerre : l’épouvantable quotidien des bidasses, nombre de gradés idiots mais impitoyables et calculateurs, les planqués de l’arrière drapés dans leurs certitudes moralisatrices, les longs cortèges de morts pour rien... Avec au passage de discrets hommages à Jean Meckert ou Léo Malet.

© Jacques Bertho, L’Alsace

Le Magazine Littéraire / Marianne

Philippe Blanchet

Au bout de la nuit

L’auteur des Brouillards de la Butte et de ’Belleville-Barcelone emboîte le pas aux godillots de Bardamu pour s’enfoncer dans la boue et le sang des tranchées. En 1917, le Chemin des Dames n’est plus qu’un « égorgeoir où l’on pousse les bêtes fourbues » lorsque le cadavre d’un lieutenant envoie le soldat Jonas devant un tribunal militaire. Commence une pénible enquête, prétexte à une fulgurante évocation de l’enfer de la « der des der ». Récit fragmenté comme les éclats d’un obus Schrapnel, souci du détail historique, Patrick Pécherot signe avec ce roman, un trépidant polar.

© Philippe Blanchet, Le Magazine Littéraire/Marianne

Le matricule des anges

Anthony Dufraisse

O rage d’acier

Bien plus qu’un simple polar historique, cette affaire policière signée Patrick Pécherot donne lieu à un témoignage d’un réalisme saisissant sur la Grande Guerre.

Au printemps 1917, le Chemin des Dames porte mal son nom ; c’est chemin des damnés qu’il faudrait dire tant les troupes allemandes et françaises s’étripent dans c paysage à la fois lunaire et boueux où se livre alors une des plus importante séquence de la Grande Guerre. Là, les poilus ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, pantins désarticulés et silhouettes spectrales. Chair à pâtée, à canons, à portée d’artillerie et de baïonnettes ennemies, « de la terre dans la bouche et les tripes à l’air ». C’est là lors d’un dernier assaut vers les lignes allemandes, que le lieutenant Landry mord la poussière, tué net d’une balle... dans le dos. Au sommet de la hiérarchie, on soupçonne le règlement de comptes et on prépare le peloton d’exécution pour le coupable tout désigné, le dénommé Antoine Jonas, surnommé Tranchecaille par ses camarades.
Si l’enquête menée par son avocat le capitaine Duparc, pour démêler le vrai du faux dans cette affaire est fort bien ficelée, le livre, cependant, ne s’y résume pas. Roman policier, bel et bien, mais pas que. En posant on chevalet, sa toile et ses pinceaux au milieu de ce théâtre d’affrontements, Pécheront donne à voir un tableau qui fait bonne figure côté des grands témoignages de guerre signés Barbusse, Genevois, Dorgelès (ce dernier apparaissant fugitivement page 112). Tableau d’une époque qui, en première ligne s’anesthésie à grandes rasades de tord boyaux et à l’arrière, s’intoxique de propagande verbeuse. D’une époque littéralement casse-gueule puisqu’elle fabrique en série des trognes cassées, aussi concassées que des œuvres cubistes. Dans ce polar historique, la mort œuvre sans répit sur les champs de bataille, éparpillant façon puzzle, pour parler comme Audiard, la fine fleur de la nation qui trois auparavant partait la fleurette au fusil. Eclats de voix et d’obus se répondent au fil d’un récit où plusieurs personnages, le temps d’un interrogatoire mené par Duparc, assument la fonction de narrateur, et chacun dans un registre de langue qui lui est propre. Ménageant habilement suspens et rebondissements, Pécherot mène surtout, et probablement au terme d’une longue documentation,, un véritable travail de reconstitution historique. Ses scènes de guerre, on s’y croirait. La zone du front, ce cimetière à ciel ouvert, ce mouroir à gros débit, nous y sommes. En plein dedans. Quant à Jonas-Tranchecaille, « il aurait jamais du se trouver là-dedans », estime un caporal auditionné. C’est que Jonas apparaît à nombre de ceux qui l’ont côtoyé comme un drôle d’oiseau, mi-hurluberlu, mi-tête de pioche. Mais l’état-major, tout à sa parano traqueuse de mutins entend prouver au contraire que Jonas est un simulateur de génie qui cache un mauvais patriote. Jonas tel Janus, à double face ? Pécherot entretient l’ambiguïté jusqu’au bout, laissant le lecteur se forger une opinion.
Mais que Jonas soit un « imbécile authentique » ou une « fieffée canaille » importe somme toute assez peu ce personnage n’étant jamais qu’un prisme, le symbole d’un « être pris dans la mécanique du destin ». C’est lui qui trinque mais ç’aurait tout aussi bien pu être un autre. L’essentiel pour l’auteur c’est de montrer la valse-hésitation des émotions, des sentiments qui, par temps belliqueux, ne peuvent être que mêlés souillés. Rien, dans la boue ne reste immaculé. C’est que la violence des hommes est une drôle de marieuse ; elle apparie entre deux orages d’acier, les sentiments les plus éloignés, les plus contradictoires. Pour preuve, ce livre à la fois requiem pour les macchabées et berceuse pour les survivants.

© Anthony Dufraisse, Le matricule des anges

Libertés (Amnesty International)

Suzanne Welles

Lettres à Louise

Patrick Pécherot est venu à l’écriture par la voie du militantisme. Dès son premier livre, Tiuraï (1996), qui se déroule sur toile de fond d’une prison de Papeete, il choisit de faire entendre la voix des « oubliés », des sans-grade. C’est encore une fois le cas avec ce très beau Tranchecaille paru récemment. Le récit de deux journées, le 30 juin et le 1er juillet 1917, dans la boue des tranchées du Chemin des Dames, le bien mal nommé. D’emblée, nous le savons, les jeux sont faits. Le soldat Antoine Jonas a été fusillé. Malgré les efforts de son défenseur, le capitaine Duparc, persuadé de son innocence. Il est rare qu’un roman policier - car c’en est un - débute par son dénouement. C’est pourtant le cas de Tranchecaille et, curieusement, le suspense reste entier. À travers une série de rapports d’interrogatoires, de témoignages de simples soldats, compagnons du supplicié, d’avis divers émis par ses supérieurs et aussi de lettres à Louise, on découvre le portrait de Duparc, un homme harassé, broyé par la guerre, cet épouvantable mécanisme collectif, qui pourtant inlassablement va croire en l’existence de la justice. Si l’auteur a choisi de faire revivre l’univers des poilus de 14-18, c’est parce que cette guerre préfigurait l’horreur absolue qui suivit. Bien sûr, on a beaucoup parlé d’elle, surtout ces derniers temps, mais souvent de manière contrastée en noir ou en blanc. Patrick Pécherot veut nous la faire voir en « gris ». Il nous fait entendre la voix d’un homme destiné à n’être qu’un chiffre dans le bilan monstrueux des disparus. Mais une voix très puissante dans un combat qui peut sembler perdu d’avance.

© Suzanne Welles, Libertés

L’Humanité

Roger Martin

Les sentiers de la honte

Avec les Brouillards de la Butte, Patrick Pécherot avait prouvé qu’il fallait compter avec lui. Son dernier roman, qui puise son inspiration dans la Première Guerre mondiale, est assurément une oeuvre de grande qualité... Le chemin des Dames, en 1917. Un conseil de guerre s’apprête à juger le soldat Jonas, accusé d’avoir assassiné son lieutenant. Le capitaine Duparc, chargé de le défendre, bourrelé de doutes et hanté par le spectre de l’erreur judiciaire, n’a pas plus de quelques jours pour trouver la vérité. La parole va être donnée aux témoins, ceux qui ont vu, entendu, et ceux qui n’ont pas besoin de cela pour avoir leur idée arrêtée, sans que le lecteur puisse se faire une conviction tranchée tant la personnalité de Jonas, alias Tranchecaille, apparaît comme mouvante et propre à semer le doute. Il semble bien que l’on s’achemine vers une erreur judiciaire, mais, l’ombre des mutineries aidant, et la valeur de l’exemple n’étant plus à prouver dans une période où certains soldats n’hésitent pas à reprendre des couplets séditieux de l’Internationale (« Ils sauront bientôt que nos balles sont pour nos propres généraux »), les conclusions du conseil de guerre se traduiront par une condamnation à mort. Une issue tragique qui sera aussi celle du capitaine défenseur de Jonas, fauché dans la « zone du front », le lendemain de l’exécution de son client. Au-delà de l’intrigue, soigneusement bâtie, le roman de Pécherot vaut par l’excellence de son écriture, par une maîtrise peu commune des retours en arrière et de l’exposition des points de vue des divers protagonistes. Inévitablement, on pense aux Sentiers de la gloire, à Pour l’exemple, au Pantalon, au travail d’un Daeninckx ou d’un Tardi. C’est dire si ce Tranchecaille mérite toute notre attention.

© Roger Martin, L’Humanité

Xroads

Pour cette nouvelle Série Noire, Patrick Pécherot revient à ce qui l’a fait connaître : le polar historique. Tranchecaille (terme d’argot utilisé par les poilus) nous plonge au coeur du mois de juin 1917 sur le Chemin des Dames. La guerre n’en finit pas de finir, les combattants sont lessivés, le pays exsangue. Les soldats des deux camps commencent à fraterniser le long des tranchées tandis que les gradés craignent des soulèvements et des mutineries. Pécherot nous présente l’histoire du soldat Jonas : arrivé quelques mois plus tôt sur le front, Jonas est un jeune de la campagne, un fort en gueule qui traîne un peu les pieds mais sur qui on peut compter. Jonas est accusé par le tribunal militaire d’avoir profité d’une attaque ennemie pour tuer son lieutenant avec qui il aurait eu des différends quelques semaines plus tôt. Nous apprenons dès les premières pages que Jonas vient d’être exécuté par un peloton militaire, le livre jette la lumière sur la culpabilité réelle ou non, du condamné. Pour décrire cette affaire judiciaire, Pécherot a choisi d’adopter une structure narrative chorale : chacun des courts chapitres nous place dans l’esprit d’un des protagonistes de cette histoire. Nous découvrons le point de vue de l’accusation, de la défense, les témoignages des proches sur la ligne de front et ceux de la hiérarchie militaire. En arrière-plan, des chapitres traversent le cours de l’histoire pour nous décrire le quotidien des soldats stationnés au Chemin des Dames. Cette dimension kaléidoscopique du récit permet à l’auteur de nous présenter la réalité de la guerre sans pour autant s’appesantir (le thème de la guerre de 14-18 ayant été déjà largement traité. Car Tranchecaille est surtout un roman qui place en avant les émotions. Nous touchons du doigt cette lassitude de la fin de la guerre. Habilement, l’auteur nous fait passer de la ligne de front à l’arrière où le même sentiment de fatigue règne. Progressivement, par touches, un tableau d’ensemble se dessine devant nos yeux, celui d’un pays brisé, au bord de la rupture. L’intrigue est menée intelligemment. Le coeur de ce roman nous fait découvrir une réalité historique parfois oubliée, celle des « marraines de guerre », ces femmes seules qui écrivaient aux braves poilus et qui parfois les recevaient chez elles pour le meilleur, et souvent pour le pire… Avec Tranchecaille, Pécherot revient à sa veine historique, là où il est le meilleur. Un livre truffé de références, de petits détails, de descriptions, qui offre une touche réaliste et vivante du récit.

VSD

François Julien

De Kubrick à Tardi, tous l’ont montré : la Première Guerre mondiale fut une abominable boucherie, un bourbier satanique, glacé, qui sentait la merde et le sang. En 1917, le soldat Jonas est accusé du meurtre d’un officier. Et de mutinerie. Il sera passé par les armes, n’en doutons point, mais avant cela, on écoutera ses camarades de misère évoquer Tranchecaille, "tranche de cake" en sabir des tranchées, génial simulateur ou parfait crétin, traumatisé quoi qu’il en soit. Car c’est bien à une enquête, à un vrai polar que nous convie Patrick Pécherot, dont l’origine, un meurtre, et l’issue, un second, sont bien moins terrifiantes que la description géniale du quotidien des poilus. Magistral.

© François Julien, VSD

CFDT Magazine

Henri Israël

L’injustice militaire

Antoine Jonas a été fusillé le 30 juin 1917 à l’aube. Pour l’exemple. Qu’a-t-il fait, ce Poilu un peu paumé ? Il faut dire que son dossier n’était pas des plus réjouissants. Accusé d’avoir tué à la baïonnette son lieutenant et une vieille dame lors d’une permission, d’avoir volé des bijoux...Bref, des charges qui vous amènent direct au peloton d’exécution. L’intérêt du livre de Patrick Pécherot réside dans la manière dont il nous fait vivre et souffrir avec les Poilus. Il retrace, pas à pas, les certitudes puis les doutes du capitaine Duparc, chargé de la défense lors du conseil de guerre. L’auteur sait, avec verve et finesse, faire progresser l’histoire, décrivant les officiers supérieurs souvent plus soucieux de leurs galons et de la qualité de leur whisky que d’économiser des vies humaines. Plus pressés aussi de bâcler un jugement que de laisser Duparc mener l’enquête. Il faut se plonger dans Tranchecaille, surnom de ce pauvre Jonas, pour comprendre la solidarité des Poilus, le sauve-qui-peut aussi, l’envie permanente de déserter, de s’extraire d’une manière ou d’une autre de cet enfer, quitte à se mutiler pour ne pas péter un câble. Un lire à lire absolument.

© Henri Israël, CFDT Magazine

813

Max Obione

Tout juste l’âme du dernier poilu rendue, voici que Pécherot nous donne son Tranchecaille. Un roman noir dans la boue et le sang de l’Histoire, celle avec une grande hache, celle de la boucherie de 14-18. Tranchecaille, c’est le soldat Jonas, un malingre mal foutu qui décroche la chance d’être conscrit comme les autres gars de son village. Et tous ces gaillards partent vaillamment au casse-pipe, le cœur léger, dans la lumière de ce bel été 1914, bleuets et coquelicots à la boutonnière... Quand on lui file son uniforme, le falzar est beaucoup trop grand. S’ensuivront un surnom (admirable), des plaisanteries et des embarras multiples qui vont aigrir le tempérament de cette tête de mule. Un jour qu’il rouscaille encore, le lieutenant Landry lui intime l’ordre de remplacer ses braies flottantes par un pantalon pris sur un mort. C’est l’affrontement entre les deux hommes sous l’œil de la compagnie. Jonas serre les dents, refuse d’obtempérer. Quelques jours plus tard, lorsque le lieut’ est retrouvé trucidé d’un coup de baïonnette dans le dos lors d’une offensive, Jonas est soupçonné d’emblée par la hiérarchie militaire. Un assassinat de vengeance, rompez !
Avant même son procès, il est déjà condamné car il incarne le désordre. « Vous le savez, la justice n’a rien à voir là-dedans. Il leur faut un coupable. Pas pour le lieutenant. Pour l’ordre, mon capitaine, pour l’ordre. Sous leurs médailles, ils pèlent de frousse à l’idée que le manche puisse branler ». Nous sommes en 1917, l’année des mutineries, l’hécatombe du Chemin des dames a saigné les premières lignes, le moral se dégrade, les hommes renâclent, grondent, certains entonnent l’Internationale. Bientôt ses accents se mêlent aux couplets de la chanson de Craonne.
Intolérable pour ces incapables badernes, sous clones de Nivelles ou de Mangin, culottes de peau bouffies de la morgue de leur caste. Ces bouffeurs de chair fraîche à canons, ces « décimeurs » de péquenots qui ne doivent pas broncher quand ils se font tailler en pièces par les Boches sauront tenir la troupe. Sinon, un tour de tourniquet !... et 12 balles dans la peau !
Ce livre poignant commence par la fin : le soldat Jonas est passé par les armes au petit matin. Il ne faut donc pas rechercher son principal intérêt dans l’intrigue ou le suspense. Toutefois l’enquête menée par l’officier et son greffier Bohman, détective dans le civil, nous en révèlera toute l’ambiguïté : Jonas, ce coupable mirobolant tant il attire à lui la déveine (ne l’accuse-t-on pas d’avoir zigouillé aussi sa marraine de guerre) était-il innocent ? A moins qu’il ne doive mourir parce qu’il représente ce quel’armée a produit de pire : un assassin ?
L’intérêt ? C’est la littérature tout bonnement, la conduite du récit, le langage, le tableau historique est bien documenté, le style alerte et imagé au réalisme poétique. Défilent aussi devant vos yeux les images des albums de Tardi consacrés à la Grande guerre. Pécherot assemble un patchwork de saynètes courtes : interrogatoires des protagonistes menés par le capitaine Duparc chargé de la défense de Jonas, lettres du premier à sa fiancée, monologue du médecin chef charcutant les blessés en compagnie d’une bonne sœur à cornettes, etc. On est baladé de la zone de front à l’arrière durant les permes, dans ce Paris populaire si cher à l’auteur, du Conseil de guerre aux tranchées de la première ligne, etc. Ce pointillisme du roman dresse un tableau d’une exceptionnelle acuité.
La construction est virtuose comme l’écriture. Parfois le parler vériste dérape dans des enjolivements poétiques incongrus dans la bouche de certains protagonistes - seule minuscule réserve. Le Bardamu du Voyage au bout de la nuit de Céline a trouvé en ce soldat Jonas un compagnon d’infortune, si le premier s’est échappé de l’enfer, le second est tombé sous les balles françaises, héros pitoyable massacré par la bêtise belliciste dans ce grand naufrage de l’humanité. Un grand livre.

© Max Obione, 813

Le Courrier de l’Ouest

Dans l’enfer du Chemin des Dames de ce mois de juin 1917, un poilu est accusé d’avoir profité d’un assaut pour tuer son lieutenant d’un coup de baïonnette dans le dos. Chargé de sa défense, le capitaine Duparc recueille patiemment les dépositions des camarades et officiers qui ont cotoyé ce soldat très difficile à cerner. Tous ces témoignages sont autant d’implacables réquisitoires contre cette effroyable boucherir et le récit qui alterne interrogatoires, compte-rendus, reportage et flash back est avant tout une terrible évocation du quotidien de ces soldats minés par une guerre sans fin. Une belle intrigue historique parfaitement valorisée par l’écriture très soignée, parfois imprégnées d’yn lyrisme désespéré, de Patrick Pécherot.

L’Union

Thierry de Lestang Parade

Une enquête chez les poilus

Le pari était risqué, il est réussi : choisir la Première Guerre mondiale pour une intrigue policière présente bien des dangers. Notamment celui de privilégier l’enquête par rapport à l’époque magistralement décrite par des anciens combattants comme Maurice Genevoix ou Henri Barbusse. Mais Patrick Pécherot a manifestement pris soin d’amasser beaucoup de documentation pour ne jamais s’éloigner de la réalité. Chacun des témoins du meurtre d’un lieutenant prend la parole au fil des pages, pour un procès que les autorités militaires veulent rapide. La victime a reçu un coup de baïonnette française dans le dos. Il faut absolument un coupable. Le roman, aux terribles accents de vérité, se lit avec plaisir en ayant la sensation de rencontrer des poilus qui se racontent.

© Thierry de Lestang Parade, L’Union

Luxemburger Wort (Luxembourg)

Jean-Rémi Barland

Avec cette histoire située en 1917 durant l’offensive du Chemin des Dames, c’est la Série Noire qui monte au front. L’auteur nous raconte le procès du soldat Antoine Jonas, jugé coupable et finalement exécuté le 30 juin 1917, à cinq heures, après avoir été accusé du meurtre de son supérieur, le lieutenant Landry. Etait-il innocent ? Le capitaine Duparc, l’officier chargé de le défendre tente de lever le voile sur une bien singulière vérité qui le mènera à découvrir qui se cache derrière celui que ses camarades ont surnommé Tranchecaille. Un livre terrible, et dont la structure en forme de polar renforce le propos lucide de l’auteur sur l’absurdité des guerres, la lâcheté des hommes, et leur éternelle soif de violence.

© Jean-Rémi Barland, Luxemburger Wort

Le Monde

Gérard Meudal

Tragédie ordinaire

Juin 1917 au chemin des Dames. Le soldat Jonas vient d’être passé par les armes, condamné en conseil de guerre pour l’assassinat de son lieutenant, malgré les efforts méritoires de son défenseur, le capitaine Duparc, persuadé à juste titre de son innocence.
Qu’importe, il fallait faire un exemple. Après la désastreuse offensive du général Nivelle, le moral des troupes est au plus bas. La mutinerie menace, et Jonas, dont on ne sait pas très bien si c’est un naïf inadapté à la vie militaire ou un réfractaire, est de toute façon un élément douteux qu’il vaut mieux éliminer pour l’exemple.
On peut s’étonner, comme le fait un gradé, que l’histoire d’un procès inique devienne un tel enjeu sur un champ de bataille. "Nom de Dieu, Duparc, tous les jours les hommes tombent par centaines. Vous avez lu les chiffres de l’offensive Nivelle ? Plus de quarante mille morts en quatorze jours. Sans parler des disparus. Quant aux blessés, on ne peut même pas les recenser... Et vous êtes là à vous accrocher à votre Jonas. Il sera mort demain. Quoi que vous fassiez. Au poteau ou au feu, quelle importance ?" On peut aussi trouver étrange qu’une affaire dont le dénouement est connu d’emblée constitue la trame d’une intrigue policière. Le propos de l’auteur n’est pas d’entraîner le lecteur dans les rebondissements d’une enquête, mais de brosser, à travers une série de témoignages, le portrait d’un homme harassé, broyé par une entreprise infernale de destruction, et qui veut croire, malgré tout, à l’existence de la justice. "Ce n’est pas parce qu’il y a une multitude que l’individu perd sa valeur. Une addition de nombres c’est ce qui donne les massacres de masse." La réussite de ce roman c’est de faire entendre la voix singulière d’un homme destiné à n’être qu’un chiffre insignifiant dans le bilan monstrueux des pertes. Le résultat peut sembler dérisoire mais ce n’est pas parce que les combats sont perdus d’avance qu’il ne faut pas les mener.

© Gérard Meudal, Le Monde

Hauts de Seine Magazine

Didier Lamare

Le polar des tranchées

Né à Courbevoie où il vit toujours aujourd’hui, Patrick Pécherot est l’un des auteurs qui renouvellent la fameuse Série Noire. Il monte au front cet automne avec Tranchecaille, un polar au Chemin des Dames.
Quand on lui demande ce qui lui a pris de passer ces mois d’écriture dans la boue des tranchées, Patrick Pécherot répond qu’il y pense depuis longtemps : « La guerre de 14 fait partie de mes fondamentaux ! Comme beaucoup, il y a une histoire familiale. Chez nous, c’était un grand oncle venu du Montenegro se battre en France. Le Montenegro, je ne savais pas où c’était, et j’ai longtemps cru enfant que l’oncle était un tirailleur africain... »

Le surnom de Tranchecaille, celui du personnage autour duquel tout gravite, il l’a repéré dans l’argot des poilus : "Tranchecaille, ça vient de tranche-gaye, l’ancêtre de notre « tranche de cake », mais c’est aussi la tranchée. » Tranchecaille donc, c’est Jonas, un soldat accusé du meurtre d’un officier, dont on ne sait pas si c’est le pauvre gars au mauvais endroit au mauvais moment, ou bien quelqu’un de beaucoup plus trouble.

Loin du roman historique, il s’agit bien d’un polar noir. Avec enquête - de police militaire, ce qui modifie pas mal les codes et les enjeux du genre. Et du noir de boue, parce que 1917, le Chemin des Dames, les gaz, les obus, la peur et la baïonnette au ventre. Le livre est construit à rebours et presque entièrement en dialogues, témoignages, interrogatoires : « Une façon de redonner à chacun sa voix, à une époque où les parlers étaient beaucoup plus différenciés qu’aujourd’hui. » De temps en temps, travelling sur l’enfer, un chapitre glacial, inhumain : on recommande entre autre le panoramique hallucinant sur le sarment de vigne... Au-delà de la vérité des dialogues, drôles souvent, héritage peut-être d’une certaine gouaille de banlieue parisienne, il y a le sens de la formule dont Pécherot a le secret, ces bonheurs - si l’on ose dire - d’écriture qui vous saisissent au vol au beau milieu d’un bombardement : "C’est la nuit des temps qui tombe."

© Didier Lamare, Hauts de Seine Magazine