Vive le son de l’explosion
Jules, Octave, Raymond, Valet, André et Monier. La bande à Bonnot. Des outlaws, "comme dans un film de Feuillade qui ferait trembler le vieux monde". Des réfractaires, des insoumis, des libertaires, tricards du boulot, étiquetés, agitateurs, empêcheurs d’exploiter en rond. Des anars qui veulent changer la vie. A commencer par la leur. "Sans attendre que refleurisse le temps des cerises". Qui savent le prix du pain et de la camaraderie. Qui poussent la liberté comme un bouchon.
Le Paris des garnis à punaises, des gourbis, des prolos, des ouvriers. Les ruelles et les faubourgs, un labyrinthe d’ateliers, de meublés, de cours et de bistrots. Le pêcheur de gras à la sortie des égouts, la chourave miteuse, la toute petite combine, le tuyau percé, rafistolé, l’argent de poche trouée qui n’apaise pas la faim. Les épiceries, les caves, les nuits froides, les aubes humides, les caisses à porter, les courses à livrer, "les douze heures de rang et t’as pas fini ta journée ?" Les hirondelles, les inspecteurs en bourgeois, les tractions et les téléphones à manivelle.
Liabeuf, Deibler. L’exécution, l’émeute. Picasso, Cendrars, Jean Vigo, Lénine, Jaurès parmi les anonymes. Bardèche et Brasillach, Rebatet et l’Action Française. Arletty, Gabin, le Quai des brumes. René Fallet, Brassens, Vallès, Vian, Colette, Dieudonné et Dettweiller.
La communauté de Romainville. "On essaie tout et le reste. La diététique et l’amour libre, le végétarisme et l’espéranto, l’hygiénisme et la fausse monnaie, l’entraide et les combines".
Les petits matins, les grands soirs.
Et la De Dion plein gaz. Jules au volant. Bon pilote, excellent mécano. Et quelque chose en lui du pistard. Octave qui ne craint personne. Une force à tuer un bœuf et une seule loi : la sienne. André Soudy, le voleur de sardines. L’homme à la carabine. Le hold-up en auto, de l’inédit. "Nouveau crime des bandits en auto ! Hold-up sanglant à Chantilly ! Demandez L’Illustration !" La piste de la terreur. La traque, les mouchards, l’opinion qui s’émeut, les autorités qui s’agitent, les journaux qui se déchaînent. Bonnot insaisissable.
Enfin le procès, la foule au tribunal venue admirer les restes de la bande. "Jugés par des proprios et des marchands de moutarde". Les faire payer pour la rue Ordener, la place du Havre, Thiais et Chantilly. Pour la frousse que la bande a inspiré et la honte de l’avoir éprouvée. L’atteinte aux lois "faites au profit de quelques-uns uns et contre tous les autres". Le meurtre de l’agent Garnier, le crime de Montgeron, le meurtre de monsieur Jouin. La culpabilité des uns, la complicité des autres. 387 questions et autant de réponses.
Le 21 avril 1913, André Soudy, tuberculeux et syphilitique, est guillotiné. Il a 21 ans. Ses derniers mots ont été : "Il fait froid, au revoir !". L’Homme à la carabine retrace son histoire. Arrêts sur image, feuilles volantes, photos noir et blanc, esquisses. Trait sûr, écriture éblouissante, évocation magistrale, roman-collage insigne.
"Longtemps, longtemps après que vous serez devenu poussière, les enfants chanteront encore l’histoire des bandits tragiques".
© Clémentine Thiebault, Noir comme Polar.com}
L’Express
François Busnel
Un Poulbot chez Bonnot
C’est un livre puzzle. Un album de famille, presque. On y découvre, d’abord, sur la couverture, une image : celle d’un homme à la carabine. Le manteau long et le chapeau mou masquent ses formes, son visage. Reste l’oeil. Un oeil vif qui renvoie un demi-regard déterminé. Mais qui est-il, l’homme à la carabine ? Et, surtout, comment devient-on cet "homme à la carabine" dont les journaux ne cessent de parler en cette année 1912 ?
Tout est là. On ne naît pas bandit, on le devient. "Le déterminisme, vous lui avez filé un sacré coup de pouce", dira-t-il du fond de sa prison. Cet homme s’appelle André Soudy. Il vient de passer la vingtaine. Il a rejoint les "bandits tragiques" qui défraient la chronique, suscitent l’admiration ou l’effroi : la bande à Bonnot. Qu’est-ce qui a conduit André Soudy à devenir l’un des membres de ce gang ? Quel enchaînement de circonstances ? Quelle société ? Ce sont les questions que pose Patrick Pécherot dans un roman qui tient à la fois de l’enquête historique, de la fable et de la fiction. Passionnant de bout en bout. Glaçant, dans les dernières pages, lorsque Pécherot évoque les ultimes heures de Soudy, le pas silencieux des matons, à 3 heures du matin, à travers les couloirs de la prison de la Santé, le bruit des sabots dans la nuit jusqu’à cette place publique où se tient la Veuve. André Soudy a été guillotiné au mois de juin 1913. Il était l’homme à la carabine. Il n’avait jamais tué personne. Pourquoi Soudy ? A cause de ces rares photos où l’on voit un jeune homme pencher la tête, le regard dans le vide. Décalé, André Soudy. Ce gamin des rues, poulbot aux poches crevées, tentait de survivre dans cette France du début du siècle que saignera à blanc, quelques années plus tard, une Grande Guerre que personne n’avait vu venir. Soudy avait un nénuphar dans la poitrine, comme dirait Boris Vian. Tuberculeux. Jules Bonnot, qui fut jadis - ironie suprême - le chauffeur de sir Arthur Conan Doyle, l’emmène avec lui défier le patron du Figaro. Il suit, Soudy. Il fréquente les milieux anarchistes, magnifiquement tirés de l’oubli par Pécherot. Ce roman n’est pas une biographie. Et la langue, savoureuse, heurtée, gouleyante, qu’utilise Patrick Pécherot fait entrer Soudy dans les rangs des grands héros de la littérature.
© François Busnel, L’Express
Le Monde Libertaire
Barnabas Collins
André Soudy sous les projecteurs
L’homme à la carabine, c’est le titre du dernier roman de Patrick Pécherot, paru chez Gallimard. Si le sujet en lui-même n’est pas d’une grande originalité - « l’épopée » de la bande à Bonnot -, son traitement l’est davantage. Surtout parce que l’histoire tragique de ces anarchistes nous est pour une fois contée à travers un autre prisme que celui de Jules Bonnot : celui du jeune tuberculeux André Soudy, rendu célèbre par la photo (celle de la couverture du roman) que les flics ont prise de lui lors d’une reconstitution du braquage de Chantilly. C’est donc l’aventure de ce petit gars, auquel on s’attache rapidement, qu’on suit du début à la fin, jusqu’à son exécution dramatique, à la guillotine, le 21 avril, à l’âge de 21 ans. Ensuite, parce que le tout se présente à nous comme une peinture impressionniste, si je puis dire. On y trouve de tout : des chapitres narratifs classiques, des flash-back, des commentaires de photographies, des « feuilles volantes », des entretiens, etc. Au premier abord, on pourrait trouver ça un peu « foutraque » et, les vingt premières pages, on a un peu de mal à savoir où on va. Mais, au fil de la lecture, l’ensemble se clarifie et prend une cohérence parfaite. Comme une peinture impressionniste : de près, on y voit que dalle, et plus on s’éloigne, plus on recule, et plus on parvient à distinguer ce que son auteur a voulu peindre. L’ensemble est aussi très bien documentée et, sans jamais tomber dans le roman historique un peu lourdingue, nous apporte un éclairage érudit sur la bande à Bonnot, les milieux politiques qu’elle fréquentait de plus ou moins près et, de façon plus générale, sur cette Belle époque qui n’était pas si belle pour tout le monde. Bref, cet Homme à la carabine est une fichue bonne lecture, poétique, émouvante, drôle, haletante et instructive. À ne pas louper, pour sûr !
© Barnabas Collins, Le Monde Libertaire
Le Républicain Lorrain
Michel Genson
Graine d’ananar
"De noir vêtu, en chapeau melon, tu sembles peint par Magritte. Ceci n’est pas un bandit." La photo est en noir et blanc, le pardessus flotte, trop large pour les maigres épaules. Quand ses poumons de tubard crachaient du sang, André Soudy était un peu à la remorque dans la bande à Jules Bonnot. Alors, "poucet fiévreux, semant des vannes comme des petits cailloux", il suivait, vaille que vaille, toussait, rigolait. La vie est trop chienne pour les traîne-misère de son acabit. Alors mort à la veuve, vive l’anarchie !
Un siècle plus tard, Patrick Pécherot prend la trace de ce gamin malingre, fier de la Winchester qu’il braque sur la foule avant de tirer dans les nuages. Au vrai roman, il préfère l’évocation, l’esquisse, les séquences courtes, cinématographiques, pour dire la geste tragique d’un paumé, d’un "innocent du monde". Pour dire une époque aussi, drôle d’époque. Au banquet, il convoque les frères d’âme, Brassens, Ferré, Henri Calet ou Lavilliers. Le résultat est plus qu’attachant. Poignant, faussement désinvolte, puis rageur, poétique. André Soudy a été guillotiné le 7 juin 1913, à Paris.
© Michel Genson, Le Républicain Lorrain
Lire
Alexandre Fillon
Le perdant magnifique
Patrick Pécherot retrace la vie d’André Soudy, membre de la bande à Bonnot, et son épopée tragique dans la France du début du XXe siècle
A bord d’une Delaunay-Belleville ou d’une De Dion-Bouton quatorze chevaux filant à pleins gaz, une poignée de bandits partaient faire des hold-up. Personne n’a oublié les méfaits de la bande à Jules Bonnot. Un petit homme d’un mètre cinquante-neuf dont le cœur ne jouait jamais le tambour, même quand il tenait un calibre à la main. Autour de lui, on croisait alors Octave qui ne craignait personne ; Valet, rêveur, capable de rester seul des jours, ou Raymond la Science, surnommé ainsi parce qu’il ramenait à tout propos celle qu’il s’était forgé seul. Tous étaient des libertaires, des réfractaires, des insoumis qui voulaient changer la vie, même au risque de perdre la leur.
Patrick Pécherot a choisi de consacrer une belle « esquisse » à l’un d’entre eux. André SOudy, tour à tour « l’homme à la carabine », « l’innocent du monde », ou « Bécamelle », né le 21 février 1892 à Beaugency, Loiret. Il n’avait pas vingt ans et un cœur d’artichaut, on l’appelait encore le « môme ». Ancien « garçon épicier » à Orléans, il s’était fait « coffrer » pour avoir « outragé », et ensuite « serrer » après un vol de sardines. Un poisson « très con » à ses yeux puisqu’il faut « en tenir une couche pour nager en bancs et mourir en boîte » !
L’auteur des Brouillards de la Butte (Folio Policier) et de Boulevard des Branques (Folio Policier) parvient à montrer toutes les facettes d’un perdant magnifique, maigre et pâle dans son grand manteau, qui souffrait d’hémoptysie. En chemin, le lecteur croisera également Arletty, Henri Calet, Georges Brassens, Victor Serge ou Louis Aragon qui immortalisa Soudy dans Les cloches de Bâle. L’aventure, on le sait peut-être, devait s’arrêter net le 21 avril 1913. Lorsque Soudy, condamné à mort par ceux qu’il nommait « les représentants de la vindicte sociale dénommée justice », fut guillotiné. Il n’avait pourtant jamais tué personne avec la Winchester dont il se servait pour tenir la foule en respect. Le fameux bourreau Anatole Deibler opéra à l’aube, boulevard Arago, devant la prison de la Santé.