– C’est Léo qui serait content. Léo Malet. Car voilà un petit polar qui, mine de rien, lui rend un formidable et fraternel hommage. Plutôt que de se coltiner la suite des « Nouveaux Mystères de Paris », impossible défi (une aventure de Nestor Burma par arrondissement : on sait qu’il en manque cinq pour que le compte soit rond), l’auteur s’est amusé à créer un héros ressemblant comme deux gouttes d’eau au jeune Léo. Comme lui, ce jeune anar des années 20, monté à Paris de son Midi natal, fait le chansonnier à la Vache enragée, le cabaret de Maurice Hallé, tire sur une bouffarde pour tromper la faim qui le visite plus souvent qu’à son tour, fréquente quelques Pieds-Nickelés libertaires et la bande surréaliste d’André Breton.. Le voilà embringué dans une histoire où, comme dans toute aventure de Nestor Burma, abondent les cadavres, les coups sur la caboche, les embrouilles et les scènes croquignolettes. On se souviendra longtemps de celle, déjà d’anthologie et qu’on se raconte entre potes, où l’on voit André Breton défourailler gaiement sur quelques malfrats, la nuit, dans le cimetière de Montmartre, et le narrateur à la pipe, de commenter : « Y’a pas que l’écriture qu’il maîtrisait à l’automatique. »
C’est plein d’allant, écrit dans le style à la fois goguenard et poétique qu’affectionnait Malet, relevé d’expression d’époque décochées à point nommé, et, miracle, pas un instant cela ne sombre dans le pastiche laborieux ou la reconstruction toc. Sans compter que l’intrigue nous remet en mémoire l’incroyable, mais véridique arnaque du comité des Forges s’appropriant après la guerre les usines métallurgiques allemandes de Lorraine pour une bouchée de pain…Bref, un seul mot convient pour ce tour de force : epastrouillant !
© Jean-Louis Porquet Le Canard Enchaîné