Séquence 1

« Â Famille… connerie…  » Ses derniers mots, monsieur. Je vous les rapporte tels qu’il les a prononcés. Ils sont drô­­­les, n’est-ce pas  ? Enfin drôles… « Â Bizarres  » conviendrait mieux… Pas tant àcause de ce qu’ils veulent dire. Ça, on comprend, et puis, c’est af­faire d’opinion. Non, l’étrange est qu’ils soient venus àla seconde où il passait l’arme àgauche. Dans quel fin fond du ciboulot des trucs pareils peuvent nicher pour remonter àce moment-là. « Â Famille… connerie…  ».

On devrait préparer ses ultimes paroles, vous ne croyez pas  ? Les miennes, je les voudrais bien macérées dans le tonneau de mon âme. Des véri­­­tés fermentées, persillées comme une viande àjus. Les servir àla façon dont on passe un plat, ce serait une bonne manière de quitter la table. Notez, je n’ai rien préparé. Si la balle qui l’a fauché avait été pour moi, je serais resté coi. Et vous  ? Imaginez. Une boutonnière coquelicot vient d’ouvrir votre poitrine. Vos intestins glissent entre vos doigts, plus chauds qu’une longueur de boudin. À moins que la margoulette fendue en deux comme une pastèque vous fasse entrevoir ce qu’il y a dedans. Vous avez l’embarras du choix, la guerre offre tant de façons de mou­rir. Toujours est-il que les secondes vous sont comptées et justement, vous voilàsec. Rien àdéclarer. En pareil cas, on doit s’accrocher àla première image qui passe comme àune bouée. Tenez, je ferme les yeux, il m’en vient une, j’ai cinq ans, pour la première fois je vais seul aux commissions, j’ai si peur de pas me dépatouiller que je m’en répète la liste. Une livre de saucisses, six Å“ufs, une mesure de lentilles. Vingt ans plus tard, mes boyaux àl’air ou mon crâne en compote, c’est peut-être ça qui sortirait. « Â Saucisses, lentilles…  » Pour un dernier souffle, ça en manque.



Ils en disent

"Ce petit recueil se dévore... longtemps encore après l’avoir refermé les échos des barricades de la Commune, l’accordéon des copains ou l’ambiance des films de voyous des années soixante résonnent dans le coeur du lecteur. " A lire sur Quatre sans quatre

"Six textes où l’on retrouve l’écriture de l’auteur, la facilité avec laquelle il jongle avec les voix, les langages, sa capacité ànous faire entendre tel ou tel personnage, d’hier ou d’aujourd’hui, comme s’il nous parlait directement" Actu du Noir, Jean-Marc Laherrère