Echange nourri

A la sortie de Terminus nuit, le site Mauvais genre lui a consacré plusieurs critiques divergentes selon le principe un pour/ un contre. L’une d’elles portant sur le fond politique du roman, elle a suscité une réponse de l’auteur.

Terminus nuit

Paris, à l’époque des grandes grèves et des attentats islamistes. Thomas Meckert, rentré de Tahiti (Tiuraï, Gallimard, Série Noire), végète et écrit un peu n’importe quoi en attendant de retrouver son statut de journaliste. Un matin en lisant la presse, il s’aperçoit que le portrait robot du principal suspect d’un nouvel attentat meurtrier (désigné comme l’ennemi public) n’est en vérité que celui d’un déserteur un peu simplet d’un régiment d’infanterie qui "ne colle pas avec le look terroriste". Il prévient Mak son voisin de palier et ami d’enfance, qui est flic. Ce dernier en réfère aux principaux intéressés à la PJ, qui prennent la nouvelle sèchement. Meckert va mener son enquête… grand mal lui en prendra.
Patrick Pécherot s’était fait remarquer avec Tiuraï. On l’attendait pour la suite et on ne peut qu’être impressionné par Terminus nuit qui allie une superbe qualité d’écriture à une intrigue bien ficelée.

Christophe Dupuis (pour la Tête en noir)

Autre critique

Capitale engluée dans les grèves…

Tom Meckert écrit un peu de tout et beaucoup de n’importe quoi : polars salaces de bas étages, articles de faits divers sanglants, etc. Les fins de mois sont difficiles et la nostalgie est bien seule à réchauffer les cœurs. C’était l’époque où Paris avait une âme et où le trio des inséparables, Tom, Mak et Gégé, gardait un peu d’illusions sur la vie. Aujourd’hui, Mak est un petit flic et Gégé un ex-gauchiste qui a tourné malfrat et Paris est paralysée par les grèves et secouée par une vague d’attentats terroristes. Triste routine des jours qui passent… Une routine qui, pour Tom, va vite être bousculée par deux faits divers qui se croisent. Un soldat simple d’esprit tue son sergent de manière impulsive avant de déserter. Le meurtrier est aperçu à Eurodysney au moment où une bombe éclate. Il embarque avec lui une fillette désorientée par le massacre. La cavale d’Ernest et Célestine commence. La police fait des effets de manche pour attribuer l’attentat au troufion en fuite. Mais Tom n’est pas convaincu du parallèle. Il mène sa propre enquête. Mal lui en prend. Les vrais coupables n’ont pas que des idées malsaines, ils en ont aussi les manières… De guet-apens en filatures, le voilà sur la piste d’un certain Kléber qui pourrait bien être un ami d’enfance…

Des avis divergents

Pour les premiers, ce livre est un petit polar sans grand intérêt et sans originalité. L’intrigue y est poussive. On guette avec une certaine impatience les moments forts qui n’arrivent guère. Les personnages sont sans épaisseur. Ernest et Célestine, au demeurant silhouettes attachantes, sont vite oubliés comme deux rôles dont on veut se débarrasser. Il ne fallait donc pas les écrire, leur court itinéraire n’intervenant jamais dans l’histoire. Couple improbable d’ailleurs que ce balourd, simplet mental et cette petite fille arrachée à son milieu, qui ne réclame ni papa ni maman (il semblerait qu’elle relève des services de la DASS, soit !) et s’adapte sans sourciller aux squats sordides qui leur servent de refuge ! Tom Meckert lui-même est un héros bien fade, dont le portrait n’est jamais dressé. Il n’en reste que plus lointain. Le cœur visiblement rose pâle (aussi bien émotionnellement que politiquement), il se laisse aller à quelques actes de violence sans conviction ni remords qui ne convainquent pas non plus. Qu’est-ce qui peut alors emmener le lecteur au bout de ce roman ? Si les phrases courtes et les descriptions rapides servent à relancer un rythme trop lent, l’écriture, surtout dans le premier tiers du livre, n’est souvent qu’une juxtaposition de phrases creuses, dont le jeu musical par trop forcé résonne comme une ritournelle : agréable dans les premières mesures, mais vite lassante, voire agaçante dans sa monotonie. Et ce n’est pas l’ersatz de réflexion politique qui emportera l’adhésion. Sincèrement antifasciste, le discours se noie dans une critique idéologique qui rapproche les extrêmes avec une coupable désinvolture et de dangereux sophismes (les marxistes sont antisémites, les antisémites sont fascistes, donc les marxistes sont fascistes !). Si l’auteur dresse avec lucidité le portrait d’une société qui marginalise les vaincus du capitalisme et réduit les autres à des automobilistes coincés dans le trafic, il critique les syndicats en lutte, forcément récupérés par les mouvements d’extrême droite, et décrit les manifestations comme d’inutiles carnavals. Son héros est un vague concentré de désillusions. C’est oublier un peu vite que cet état d’esprit aussi est un terreau fertile pour l’extrémisme sauvage.

Il reste de cette histoire un goût amer d’où il ressort que, lorsqu’on est cheminot, il vaut mieux ne pas se mettre en grève trop longtemps de peur de déclencher, via le mécontentement populaire, une prise de pouvoir fasciste !!! Le peuple est décidément trop bête. Il ne lira pas ce livre…

Un avis que ne partagent pas du tout les autres. Pour eux,

ce livre est un bon thriller, bien ficelé, avec des encastrements qui s’emboîtent petit à petit et servi par une écriture fine et précise, avec en particulier des petites phrases courtes et efficaces, non dénuées d’humour et des dialogues percutants et très savoureux. Les personnages sont bien décrits, campés avec justesse. L’auteur livre aussi une bonne analyse de l’atmosphère d’une grande ville paralysée par les grèves des transports qui rappellent étrangement celles qu’a connues Paris en 1995.
Un bon polar !

Réponse de l’auteur

Ce petit mot rapide en retour d’une critique parue sur un de mes bouquins.
A l’évidence, votre collectif est partagé à propos de Terminus Nuit. Je me garderai bien d’intervenir dans ce qui relève de vos choix. Toute critique, bonne ou mauvaise aidant par ailleurs à progresser dans le travail d’écriture.
En revanche, une partie des reproches qui me sont faits relève davantage du politique que de la forme. A ce titre, je suis fondé à m’expliquer. Non parce qu’à l’évidence je n’ai pas été compris, mais parce qu’on me prête des propos qu’à aucun moment je n’ai tenu ou sous entendu.

Ainsi, lorsque l’on fait dire que "les marxistes sont antisémites, les antisémites sont fascistes donc les marxistes sont fascistes" je suis en droit de m’étonner. Si l’antisémitisme n’épargne hélas aucune famille politique, la déformation de ce que j’ai présenté comme l’itinéraire d’un individu basculant de l’hyper gauche à l’extrême droite relève du parti pris.

L’existence de passerelles entre certaines familles qui se situent aux extrêmes de l’échiquier politique n’est pas une nouveauté. Mon propre itinéraire militant m’a d’ailleurs mis en présence de quelques uns de ces "égarements".
Oui, il existe une forme de pensée totalitaire dans lesquelles le nazisme comme le stalinisme (notez que je n’ai même pas dit communisme) trouvent un terreau propice. Là non plus rien d’original. Je n’ai jamais rien écrit et rien dit d’autre. Faut-il toujours se taire pour ne pas désespérer ce qui reste de Billancourt ?
Militant syndical depuis maintenant 25 ans, j’ai participé à beaucoup de conflits, j’en ai animé quelques uns. Cela ne me donne aucun droit, si ce n’est celui de ne pas être soupçonné de prendre "le peuple" - selon votre terminologie - pour un imbécile.

Si vous acceptez un instant de ne pas simplifier, vous vous souviendrez que lors des grèves de 95 le débat était vif dans les rangs de gauche. Disons qu’entre Bourdieu et Wieviorka, je me situe plus près du second que du premier. Ce que vous aurez compris, même à travers l’ersatz de pensée que je manifeste dans un roman qui est - avant tout - une histoire d’amitié perdue. En ce qui me concerne, je vous reconnais le droit de faire d’autre choix. C’est pourquoi je ne chercherai jamais à dénaturer une pensée sous l’unique motif que je ne la partage pas.

Que voulez-vous, on ne se refait pas, je continue de préférer Camus à Sartre et Makhno à Lénine. Chacun son truc.
Bien amicalement à votre collectif, et, cela étant dit, continuez votre travail. La critique a ceci d’utile qu’elle vous force en permanence à vous interroger. Merci donc. Et qui sait, à bientôt

Patrick Pécherot