« Le rêve aide àtenir debout..  »

Après une première parution chez Syros en 2005, pourquoi avoir choisi un libraire se lançant dans l’édition pour ressortir Le voyage de Phil ?

Le livre avait vécu sa vie, et plutôt bien puisqu’il avait déjàété réédité. Mais Syros, ne commercialisant plus mes deux romans jeunesse, j’en ai confié les droits àd’autres éditeurs. Larousse a repris l’Affaire Jules Bathias dans sa collection "classiques de demain",, augmenté d’un très beau dossier pédagogique àdestination des jeunes lecteurs. J’avais promis de longue date Le voyage de Phil àun ami libraire qui souhaitait tenter l’aventure de l’édition. Outre la promesse faite, cela concourt àmaintenir vivante la tradition des libraires éditeurs. A l’heure où la librairie doit être soutenue, on peut considérer cela comme une démarche militante de ma part. En retour, j’ai été gâté puisque la couverture a été confiée, par Scup édition, àOlivier Desvaux, un peintre, dessinateur, aquarelliste au travail magnifique àqui l’on doit notamment une superbe mise en image de Poil de Carotte et, dans un autre domaine, du Lac des Cygnes.

Un roman jeunesse implique-t-il une écriture particulière ?

Adulte ou jeunesse, un roman raconte une histoire et tente de faire résonner une petite musique. L’écriture d’un roman jeunesse me semble en revanche particulière , au sens où elle génère un questionnement relatif au lecteur que je n’ai pas habituellement. Du moins pas autant. Est-ce que je suis compréhensible ? Est-ce que pour l’être, je ne surligne pas ? Mes références ne sont-elles pas datées ? Si j’en place qui me paraissent être celles d’un lecteur de 12/13 ans, est-ce que ce sont vraiment les siennes ou relèvent-elles d’une image stéréotypée du préado ? En me posant ces questions, ne suis-je pas en train de fabriquer un produit normé àtravers des critères qui relèvent avant tout du marché ?

On retrouve l’univers des tziganes sur lequel tu as déjàtravaillé, notamment dans la BD Vague àlame, avec Jeff Pourquié ou dans le livret d’un CD du regretté Patrick Saussois, grand guitariste de jazz manouche …

Cet univers me faisait rêver quand j’étais môme. Je dois sa découverte à... Enid Blyton. Une de mes premières lectures marquantes a été Le club des 5 et les Gitans. Je me souviens être tombé follement amoureux de Jo, la petite gitane. L’été, des caravanes avaient l’habitude de se poser près de la maison de ma grand-mère. J’y traînais souvent. Je jouais avec les gamins, j’allais au lavoir avec les femmes... Mais je n’ai jamais trouvé Jo, alors, quarante ans plus tard, j’ai inventé Yovana, la petite manouche de Phil. Je suppose que si je relisais Le club des 5, j’y trouverais un tas de clichés, et pas des plus agréables. La revue Etudes Tziganes, en recense une foultitude dans un excellent dossier sur ce sujet. Il est intéressant d’y lire un comparatif entre la version originale d’Enid Blyton et ses différentes traductions de par le monde. La traduction française entasse toutes les images négatives sur les gitans, ce qui ne figure pas dans le livre original. N’empêche, elle m’a ouvert la porte du rêve bohémien pour reprendre le titre d’un morceau de Jo Privat.

Marius Jacob, le voleur anarchiste a-t-il réellement inspiré Maurice Leblanc ?

En présentant Marius Jacob comme « le vrai Arsène Lupin  », Anselme Grincourt, le bouquiniste, reprend une légende souvent véhiculée : Jacob aurait inspiré Maurice Leblanc pour créer son célèbre gentleman cambrioleur. Les méthodes de Lupin évoquent celles de Jacob. L’un et l’autre sont les enfants d’une famille modeste pour lesquels le vol constitue sans doute une revanche. Pour autant, ils ont beau partager des points communs, Lupin et Jacob sont bien différents l’un de l’autre. Sa pince monseigneur rangée, Lupin (re)devient un grand bourgeois. Le vol lui permet d’acquérir ce statut. Il s’en amuse mais il s’y coule. Loin d’être un Robin des bois au drapeau noir, Lupin mettra même àplusieurs reprises ses talents au service du gouvernement… Jacob, lui, revendique haut et fort le caractère social de ses actes et son anarchisme militant. Il ne vole pas pour s’enrichir mais pour aider àrenverser une société injuste. Si Lupin n’est pas Jacob, il est difficile de savoir si, a contrario, il n’a compté en rien dans les sources d’inspiration de Leblanc. Si, contrairement àla légende ce dernier n’aurait jamais assisté au procès de Marius Jacob, il n’en côtoyait pas moins, au Gil Blas où il était chroniqueur littéraire, Georges Pioch, un journaliste aux sympathies anarchistes notoires. Pioch ayant soutenu Marius Jacob, n’en a-t-il jamais vanté ses exploits àMaurice Leblanc ?

Anselme, le bouquiniste est un personnage clé du roman, un coup de chapeau àla profession ?

Les bouquinistes sont la mémoire des livres. Ils leur permettent de continuer àvivre lorsqu’ils ne sont plus dans le circuit et leurs auteurs plus de ce monde. Anselme est un passeur. D’histoires, de mémoire... A travers les livres, le rêve qu’il transmet àPhil aide celui-ci àtenir debout malgré la maladie. Anselme truque, invente, mais il ne prend jamais Philémon pour une dupe. Ses contes sont des clés dont Phil saura se servir. Anselme touche àcette dimension fabuleuse de la lecture qui concourt àla formation d’une personnalité.