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La recherche généalogique qui ouvre l’affaire Jules Bathias se révèle prétexte à une enquête d’un autre type. La phrase de Mac Orlan que vous citez souvent à propos du polar, « quand je regarde un arbre, je vois un pendu ? », vaut aussi pour les arbres de famille ?
Patrick Pécherot La généalogie n’est pas très éloignée de l’enquête policière avec une différence de taille. Celui qui s’y livre enquête finalement sur lui-même. Ce n’est pas sans risque. Trouver un cadavre dans le placard en fait partie. Mais les transformations de la structure familiale, la mobilité géographique, les mouvements de populations, la vitesse, aussi, font qu’on éprouve la nécessité de se poser et de regarder en arrière. Cette recherche d’identité concerne aussi bien des individus que des groupes entiers, à travers la recherche mémorielle. Nous portons tous une part de ceux qui nous ont précédés. Pas seulement à travers l’hérédité. Leur histoire a contribué à forger cette Histoire, avec son grand H, dont nous sommes aussi les produits. Alors, quand on est un enfant solitaire, comme Valentin, le héros du livre, il arrive que l’enquête se change en quête. Et vous conduise à vous colleter avec les fantômes qui hantent cet envers du décor cher au polar et à Mac Orlan.
Philémon, le héros du Voyage de Phil était un enfant malade. Valentin, celui de L’affaire Jules Bathias est timide, presque introverti. Vous affectionnez les anti-héros ?
P.P. Pas besoin d’avoir la stature du baroudeur en herbe pour se lancer à l’aventure. Elle est à la portée de main. Celle qu’on mène de sa chambre peut se révéler riche en rebondissements. Le Voyage de Phil jouait avec les canons du road movie. L’affaire Jules Bathias visite ceux du voyage intérieur. Mais pour Valentin, comme pour Philémon c’est l’imaginaire qui ouvrira les portes. Pas la taille de leurs muscles ni quoi que ce soit du genre. J’en ai un peu assez qu’on transforme les gamins en petits adultes, c’est comme si on en faisait des singes savants qu’on exhibe dans les cirques. Ils méritent le respect pour ce qu’ils sont, pas pour ce à quoi on cherche à les faire ressembler.
La première guerre mondiale n’est pas un thème classique à la littérature jeunesse…
P.P. La guerre de 14 paraît presque aussi lointaine, que celle de cent ans. Pourtant, c’était hier. Le temps est une notion toute relative. J’ai cinquante trois ans. Rien d’extraordinaire. Mais penser que cela me fait naître seulement trente cinq ans après l’armistice de 1918, me donne le sentiment d’être beaucoup plus vieux. C’est en fait la guerre qui est plus proche. Pour ma génération, celle des quinquas, elle était encore très présente. Les grands parents en parlaient. Quand j’avais une dizaine d’année, beaucoup d’anciens combattants n’avaient guère plus de soixante cinq ou soixante dix ans. Mon grand-père, mes grands oncles l’ont faite… Les familles étaient marquées par des deuils. On vendait encore des billets de loteries pour les « gueules cassées »… Cette proximité n’est pas étrangère à l’engouement qu’elle suscite aujourd’hui à travers les documents, la littérature, le cinéma ou la BD. Pourquoi un jeune lecteur y serait-il insensible ? Si mon Jules Bathias lui donne envie d’aller plus loin, qu’il fonce ! Il ne manquera pas de matériaux. A commencer par les bouquins que Valentin emprunte à la bibliothèque.
Avec le personnage de Fernande, comme hier avec celui d’Anselme, vous abordez à nouveau le thème de la transmission. Un souci récurrent ?
P.P. Recevoir ce que d’autres vous transmettent est inhérent à la construction de soi même. Je suis très sensible à l’aspect « rapport à l’ancien », celui qui possède la mémoire. Et qui, la possédant, se souvient aussi de ce qu’il a été, de ses erreurs. Qu’on le veuille ou non, quand on raconte, on transmet. Alors, autant ne pas transmettre n’importe quoi.
Propos recueillis par Scup pour pecherot.com