par Gérard Meudal (Le Monde)

Le blues énergique de Patrick Pécherot

DEUX BONS GÉNIES se sont penchés en voisins sur son berceau, en décembre 1953 : Arletty et Jean Amila. Pourtant, il ne les a rencontrés ni l’un ni l’autre. Patrick Pécherot est né à Courbevoie, à deux pas de l’école que fréquentait Arletty à une époque où la Défense n’avait pas tout à fait la même allure qu’aujourd’hui (les souvenirs de l’actrice sont intitulés La Défense ). Bien plus tard, il a trouvé l’audace de lui téléphoner, alors que, devenue quasiment aveugle, elle avait fait savoir qu’elle aimerait recevoir quelques appels, même d’inconnus. De la conversation qu’ils eurent, il se souvient seulement que, trop intimidé, il réussit tout juste à répondre à ses questions. Ce qu’il n’a pas oublié, c’est le ton gouailleur caractéristique sur lequel elle le quitta : « Au revoir, Patrick de Courbevoie. »

Photo de Jacques Sassier/Gallimard

Quant à Jean Amila, né en 1910, après que son père eut été fusillé comme mutin de la guerre de 1914-1918 et sa mère internée au Vésinet, c’est à Courbevoie qu’il passa son enfance, dans un orphelinat. Dans les années 1990, Patrick Pécherot entretint avec lui une correspondance ; il s’était même décidé, après bien des hésitations, à lui rendre visite, quand un ami attira son attention sur une notice nécrologique parue dans Le Monde. Jean Meckert, alias Amilanar (Ami l’anar, mais Marcel Duhamel avait raccourci le pseudonyme), celui qui sut si bien marier le courant populiste au roman noir, venait de mourir. C’était en 1995, l’année où la France reprenait ses essais nucléaires en Polynésie, l’année où Patrick Pécherot adressait par la poste son premier livre à la Série noire.

A défaut d’héritage, c’est déjà une atmosphère dans laquelle Patrick Pécherot baigne dès l’enfance. Celle du cinéma américain d’abord. Inconditionnel de Bogart, il ne rate aucun des grands films noirs que projette la salle de quartier, le Central à Puteaux, aujourd’hui démolie. Il voit aussi beaucoup de séries B à la française et, dans la foulée, dévore Chandler et Léo Malet. « Il y a tout un cinéma populaire français que j’aime. Il a été balayé par la nouvelle vague, qui a fait des choses fabuleuses, mais qui a fait du passé table rase, ce qui n’est jamais une bonne chose. » Quoique...

Trop jeune pour participer véritablement à mai 68, il se rattrape dans les années 1970 en entamant un parcours très militant dans les milieux libertaires et pacifistes. C’est à l’occasion d’une interview pour une radio associative qu’il fait une autre rencontre décisive, celle de Didier Daeninckx, venu parler du Der des der. Patrick Pécherot milite aussi dans son cadre professionnel, à la Sécurité sociale, où il devient rapidement délégué du personnel, puis responsable de sa fédération. lI est ensuite rédacteur en chef de Syndicalisme Hebdo, l’hebdomadaire de la CFDT.

De la presse syndicale à la littérature, le pas est vite franchi. Un engagement en faveur des mutins de la prison de Papeete et quelques articles sur Tahiti après la reprise des essais nucléaires, en 1995, ajouté à cela, un mois et demi d’immobilisation forcée pour raisons de santé, et Patrick Pécherot écrit Tiuraï, qui met en scène l’enquêteur Thomas Mecker, hommage à peine voilé à Jean Amila, et qui réapparaît dans Terminus Nuit, largement inspiré par les grandes grèves de 1995. En 2001, Les Brouillards de la Butte obtiennent le Grand Prix de littérature policière.

Cette fois, c’est Léo Malet qui est célébré, puisque le roman peut se lire comme la naissance mythique de Nestor Burma. Pécherot y recrée le climat du Paris des surréalistes à l’époque où ils fréquentaient les bandits tragiques... Nostalgique ? Pécherot s’en défend : « Je ne suis pas nostalgique, dans la mesure où la nostalgie implique une part de regret pour ce qui n’est plus. Je ne regrette pas le passé, mais je suis un peu mélancolique et fidèle à mes racines. » Le blues, en somme.

Dans son travail avec le dessinateur Jeff Pourquié, avec lequel il a publié Des méduses plein la tête et Ciao Pékin, c’est le goût commun pour la musique manouche qui les a rapprochés. Et, parmi ses projets, outre un roman noir, figure un recueil de textes inspirés par des personnages ordinaires de la vie quotidienne. « Poèmes, ça fait prétentieux, chansons, ce serait inchantable, j’ai appelé ça des polaroïds. »

Patrick Pécherot travaille l’écriture comme on fait ses gammes. Il y a des auteurs, comme Jack Kerouac (1922-1969), qui écrivent comme on joue du jazz. « Je n’ai pas cette prétention, mais l’écriture c’est avant tout une musique. Dans Les Brouillards de la Butte, je travaillais sur la musique manouche et le jazz musette. » D’où son admiration pour le mélange de blues et de country de James Crumley ou pour la musique toute simple de Patrick Modiano. Et même pour les odeurs : « Quand je lis Simenon ou Daeninckx, il y a des odeurs qui viennent tout de suite. Je suis content quand j’arrive à faire sentir l’odeur du bistrot. » Lire Pécherot, c’est vraiment « respirer le sirop de la rue ». Ce que c’est tout de même que d’être né avec une gueule d’atmosphère !

Article paru dans l’édition du 18 août 2002 du journal Le Monde