Syndicalisme Hebdo

Philippe Réau

Tranchecaille, c’est Jonas, un poilu accusé d’avoir trucidé son lieutenant dans le dos, à la baïonnette. Nous sommes en juin 1917 après le fiasco de l’offensive du chemin des Dames qui a tourné au massacre, 100 000 morts pour la gloriole du "boucher Nivelle" finalement mort, lui aussi, mais dans son lit comme beaucoup de généraux. Le capitaine Duparc, chargé de défendre le soldat devant le Conseil de guerre, mène l’enquête pour tenter de découvrir si Jonas est vraiment un tueur d’officier, un mutin ou simplement un pauvre type ballotté par l’horreur des circonstances.
Avec ce roman, Pécherot nous plonge encore une fois dans le noir de la Série et dans celui, encore plus profond, de la guerre de 14, du désespoir de ces types au bout du rouleau, envoyés au casse-pipe pour rien. A travers l’enquête du capitaine Duparc, il nous fait cheminer dans ce que pouvaient être la vie et la mort dans les tranchées, mais aussi à l’arrière, où des soldats hébétés, sortis pour un temps de l’enfer, se trouvent dans l’incapacité de faire comprendre et de dire l’innommable de cette bataille absurde. Naissent alors des malentendus tragiques... Patrick Pécherot a écrit une dizaine de romans, il a été Grand Prix de la littérature policière en 2002. Il est ancien rédacteur en chef de Syndicalisme Hebdo.

© Philippe Réau, Syndicalisme Hebdo



VSD

François Julien

De Kubrick à Tardi, tous l’ont montré : la Première Guerre mondiale fut une abominable boucherie, un bourbier satanique, glacé, qui sentait la merde et le sang. En 1917, le soldat Jonas est accusé du meurtre d’un officier. Et de mutinerie. Il sera passé par les armes, n’en doutons point, mais avant cela, on écoutera ses camarades de misère évoquer Tranchecaille, "tranche de cake" en sabir des tranchées, génial simulateur ou parfait crétin, traumatisé quoi qu’il en soit. Car c’est bien à une enquête, à un vrai polar que nous convie Patrick Pécherot, dont l’origine, un meurtre, et l’issue, un second, sont bien moins terrifiantes que la description géniale du quotidien des poilus. Magistral.

© François Julien, VSD

Hauts de Seine Magazine

Didier Lamare

Le polar des tranchées

Né à Courbevoie où il vit toujours aujourd’hui, Patrick Pécherot est l’un des auteurs qui renouvellent la fameuse Série Noire. Il monte au front cet automne avec Tranchecaille, un polar au Chemin des Dames.
Quand on lui demande ce qui lui a pris de passer ces mois d’écriture dans la boue des tranchées, Patrick Pécherot répond qu’il y pense depuis longtemps : « La guerre de 14 fait partie de mes fondamentaux ! Comme beaucoup, il y a une histoire familiale. Chez nous, c’était un grand oncle venu du Montenegro se battre en France. Le Montenegro, je ne savais pas où c’était, et j’ai longtemps cru enfant que l’oncle était un tirailleur africain... »

Le surnom de Tranchecaille, celui du personnage autour duquel tout gravite, il l’a repéré dans l’argot des poilus : "Tranchecaille, ça vient de tranche-gaye, l’ancêtre de notre « tranche de cake », mais c’est aussi la tranchée. » Tranchecaille donc, c’est Jonas, un soldat accusé du meurtre d’un officier, dont on ne sait pas si c’est le pauvre gars au mauvais endroit au mauvais moment, ou bien quelqu’un de beaucoup plus trouble.

Loin du roman historique, il s’agit bien d’un polar noir. Avec enquête - de police militaire, ce qui modifie pas mal les codes et les enjeux du genre. Et du noir de boue, parce que 1917, le Chemin des Dames, les gaz, les obus, la peur et la baïonnette au ventre. Le livre est construit à rebours et presque entièrement en dialogues, témoignages, interrogatoires : « Une façon de redonner à chacun sa voix, à une époque où les parlers étaient beaucoup plus différenciés qu’aujourd’hui. » De temps en temps, travelling sur l’enfer, un chapitre glacial, inhumain : on recommande entre autre le panoramique hallucinant sur le sarment de vigne... Au-delà de la vérité des dialogues, drôles souvent, héritage peut-être d’une certaine gouaille de banlieue parisienne, il y a le sens de la formule dont Pécherot a le secret, ces bonheurs - si l’on ose dire - d’écriture qui vous saisissent au vol au beau milieu d’un bombardement : "C’est la nuit des temps qui tombe."

© Didier Lamare, Hauts de Seine Magazine

L’Alsace

Jacques Bertho

La Série Noire avait déjà mis ses croquenots boueux dans les tranchées de la guerre 14-18 : Le Boucher des Hurlus avait jadis étalé tout le talent de Jean Amila dans un puissant roman dénonciateur. Patrick Pécherot monte à son tour au front pour évoquer habilement, au fil d’une enquête, tout l’univers de la Grande Guerre : l’épouvantable quotidien des bidasses, nombre de gradés idiots mais impitoyables et calculateurs, les planqués de l’arrière drapés dans leurs certitudes moralisatrices, les longs cortèges de morts pour rien... Avec au passage de discrets hommages à Jean Meckert ou Léo Malet.

© Jacques Bertho, L’Alsace

L’Union

Thierry de Lestang Parade

Une enquête chez les poilus

Le pari était risqué, il est réussi : choisir la Première Guerre mondiale pour une intrigue policière présente bien des dangers. Notamment celui de privilégier l’enquête par rapport à l’époque magistralement décrite par des anciens combattants comme Maurice Genevoix ou Henri Barbusse. Mais Patrick Pécherot a manifestement pris soin d’amasser beaucoup de documentation pour ne jamais s’éloigner de la réalité. Chacun des témoins du meurtre d’un lieutenant prend la parole au fil des pages, pour un procès que les autorités militaires veulent rapide. La victime a reçu un coup de baïonnette française dans le dos. Il faut absolument un coupable. Le roman, aux terribles accents de vérité, se lit avec plaisir en ayant la sensation de rencontrer des poilus qui se racontent.

© Thierry de Lestang Parade, L’Union

Le matricule des anges

Anthony Dufraisse

O rage d’acier

Bien plus qu’un simple polar historique, cette affaire policière signée Patrick Pécherot donne lieu à un témoignage d’un réalisme saisissant sur la Grande Guerre.

Au printemps 1917, le Chemin des Dames porte mal son nom ; c’est chemin des damnés qu’il faudrait dire tant les troupes allemandes et françaises s’étripent dans c paysage à la fois lunaire et boueux où se livre alors une des plus importante séquence de la Grande Guerre. Là, les poilus ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, pantins désarticulés et silhouettes spectrales. Chair à pâtée, à canons, à portée d’artillerie et de baïonnettes ennemies, « de la terre dans la bouche et les tripes à l’air ». C’est là lors d’un dernier assaut vers les lignes allemandes, que le lieutenant Landry mord la poussière, tué net d’une balle... dans le dos. Au sommet de la hiérarchie, on soupçonne le règlement de comptes et on prépare le peloton d’exécution pour le coupable tout désigné, le dénommé Antoine Jonas, surnommé Tranchecaille par ses camarades.
Si l’enquête menée par son avocat le capitaine Duparc, pour démêler le vrai du faux dans cette affaire est fort bien ficelée, le livre, cependant, ne s’y résume pas. Roman policier, bel et bien, mais pas que. En posant on chevalet, sa toile et ses pinceaux au milieu de ce théâtre d’affrontements, Pécheront donne à voir un tableau qui fait bonne figure côté des grands témoignages de guerre signés Barbusse, Genevois, Dorgelès (ce dernier apparaissant fugitivement page 112). Tableau d’une époque qui, en première ligne s’anesthésie à grandes rasades de tord boyaux et à l’arrière, s’intoxique de propagande verbeuse. D’une époque littéralement casse-gueule puisqu’elle fabrique en série des trognes cassées, aussi concassées que des œuvres cubistes. Dans ce polar historique, la mort œuvre sans répit sur les champs de bataille, éparpillant façon puzzle, pour parler comme Audiard, la fine fleur de la nation qui trois auparavant partait la fleurette au fusil. Eclats de voix et d’obus se répondent au fil d’un récit où plusieurs personnages, le temps d’un interrogatoire mené par Duparc, assument la fonction de narrateur, et chacun dans un registre de langue qui lui est propre. Ménageant habilement suspens et rebondissements, Pécherot mène surtout, et probablement au terme d’une longue documentation,, un véritable travail de reconstitution historique. Ses scènes de guerre, on s’y croirait. La zone du front, ce cimetière à ciel ouvert, ce mouroir à gros débit, nous y sommes. En plein dedans. Quant à Jonas-Tranchecaille, « il aurait jamais du se trouver là-dedans », estime un caporal auditionné. C’est que Jonas apparaît à nombre de ceux qui l’ont côtoyé comme un drôle d’oiseau, mi-hurluberlu, mi-tête de pioche. Mais l’état-major, tout à sa parano traqueuse de mutins entend prouver au contraire que Jonas est un simulateur de génie qui cache un mauvais patriote. Jonas tel Janus, à double face ? Pécherot entretient l’ambiguïté jusqu’au bout, laissant le lecteur se forger une opinion.
Mais que Jonas soit un « imbécile authentique » ou une « fieffée canaille » importe somme toute assez peu ce personnage n’étant jamais qu’un prisme, le symbole d’un « être pris dans la mécanique du destin ». C’est lui qui trinque mais ç’aurait tout aussi bien pu être un autre. L’essentiel pour l’auteur c’est de montrer la valse-hésitation des émotions, des sentiments qui, par temps belliqueux, ne peuvent être que mêlés souillés. Rien, dans la boue ne reste immaculé. C’est que la violence des hommes est une drôle de marieuse ; elle apparie entre deux orages d’acier, les sentiments les plus éloignés, les plus contradictoires. Pour preuve, ce livre à la fois requiem pour les macchabées et berceuse pour les survivants.

© Anthony Dufraisse, Le matricule des anges

Le Temps (Suisse)

Roger Gaillard

Meurtre par temps de guerre

C’est par milliers que se comptent, en temps de guerre, les meurtres légaux prescrits par le clan, la nation ou la religion. Un cadavre de plus ou de moins, quelle importance ? Il est dès lors tentant de camoufler en crime de guerre un meurtre commis pour des raisons toutes personnelles. Passionné d’histoire, Patrick Pécherot revient sur les horreurs de 14-18 dans Tranchecaille, roman choral évoquant le procès d’un troufion paumé, Jonas, accusé d’avoir assassiné son lieutenant à coups de Rosalie, la baïonnette des poilus. L’épisode se situe peu après l’offensive du général Nivelle, en 1917, qui a tourné à l’hécatombe. Englués dans leurs tranchées, les soldats en ont ras les bottes. Mutilations volontaires et mutineries se multiplient. Il faut donc fusiller des réfractaires... mais le naïf Jonas n’a pas le profil d’un révolté, comme tente de le prouver le capitaine chargé de sa défense. Trame policière et trame historique se superposent à travers une mosaïque de courts chapitres, interrogatoires, témoignages, échanges de lettres ou récits de brèves permissions à Paris, côté bars, bordels et désillusions. Patrick Pécherot a de la gouaille, du style et du souffle, le sens du dialogue et de l’image. Il sait camper en peu de mots des personnages bien ciselés. Il sait aussi toucher par l’évocation sensible de la vie quotidienne de soldats harassés, mais encore capables de courage et de solidarité.

© Roger Gaillard, Le Temps

L’Humanité

Roger Martin

Les sentiers de la honte

Avec les Brouillards de la Butte, Patrick Pécherot avait prouvé qu’il fallait compter avec lui. Son dernier roman, qui puise son inspiration dans la Première Guerre mondiale, est assurément une oeuvre de grande qualité... Le chemin des Dames, en 1917. Un conseil de guerre s’apprête à juger le soldat Jonas, accusé d’avoir assassiné son lieutenant. Le capitaine Duparc, chargé de le défendre, bourrelé de doutes et hanté par le spectre de l’erreur judiciaire, n’a pas plus de quelques jours pour trouver la vérité. La parole va être donnée aux témoins, ceux qui ont vu, entendu, et ceux qui n’ont pas besoin de cela pour avoir leur idée arrêtée, sans que le lecteur puisse se faire une conviction tranchée tant la personnalité de Jonas, alias Tranchecaille, apparaît comme mouvante et propre à semer le doute. Il semble bien que l’on s’achemine vers une erreur judiciaire, mais, l’ombre des mutineries aidant, et la valeur de l’exemple n’étant plus à prouver dans une période où certains soldats n’hésitent pas à reprendre des couplets séditieux de l’Internationale (« Ils sauront bientôt que nos balles sont pour nos propres généraux »), les conclusions du conseil de guerre se traduiront par une condamnation à mort. Une issue tragique qui sera aussi celle du capitaine défenseur de Jonas, fauché dans la « zone du front », le lendemain de l’exécution de son client. Au-delà de l’intrigue, soigneusement bâtie, le roman de Pécherot vaut par l’excellence de son écriture, par une maîtrise peu commune des retours en arrière et de l’exposition des points de vue des divers protagonistes. Inévitablement, on pense aux Sentiers de la gloire, à Pour l’exemple, au Pantalon, au travail d’un Daeninckx ou d’un Tardi. C’est dire si ce Tranchecaille mérite toute notre attention.

© Roger Martin, L’Humanité

Xroads

Pour cette nouvelle Série Noire, Patrick Pécherot revient à ce qui l’a fait connaître : le polar historique. Tranchecaille (terme d’argot utilisé par les poilus) nous plonge au coeur du mois de juin 1917 sur le Chemin des Dames. La guerre n’en finit pas de finir, les combattants sont lessivés, le pays exsangue. Les soldats des deux camps commencent à fraterniser le long des tranchées tandis que les gradés craignent des soulèvements et des mutineries. Pécherot nous présente l’histoire du soldat Jonas : arrivé quelques mois plus tôt sur le front, Jonas est un jeune de la campagne, un fort en gueule qui traîne un peu les pieds mais sur qui on peut compter. Jonas est accusé par le tribunal militaire d’avoir profité d’une attaque ennemie pour tuer son lieutenant avec qui il aurait eu des différends quelques semaines plus tôt. Nous apprenons dès les premières pages que Jonas vient d’être exécuté par un peloton militaire, le livre jette la lumière sur la culpabilité réelle ou non, du condamné. Pour décrire cette affaire judiciaire, Pécherot a choisi d’adopter une structure narrative chorale : chacun des courts chapitres nous place dans l’esprit d’un des protagonistes de cette histoire. Nous découvrons le point de vue de l’accusation, de la défense, les témoignages des proches sur la ligne de front et ceux de la hiérarchie militaire. En arrière-plan, des chapitres traversent le cours de l’histoire pour nous décrire le quotidien des soldats stationnés au Chemin des Dames. Cette dimension kaléidoscopique du récit permet à l’auteur de nous présenter la réalité de la guerre sans pour autant s’appesantir (le thème de la guerre de 14-18 ayant été déjà largement traité. Car Tranchecaille est surtout un roman qui place en avant les émotions. Nous touchons du doigt cette lassitude de la fin de la guerre. Habilement, l’auteur nous fait passer de la ligne de front à l’arrière où le