– Pourquoi avoir fait de la bande à Bonnot le thème de votre nouveau roman ?
Ceux qu’on a coutume d’appeler ainsi m’accompagnent depuis plus de trente cinq ans. A l’époque, je les avais découverts grâce à l’ouvrage de Bernard Thomas, La bande à Bonnot, qui retraçait leurs itinéraires et s’attachait à leurs personnalités. En pleine utopie des années 70, j’avais été frappé par leur jeunesse et la modernité de ce qu’ils avaient expérimenté : révolte radicale, modes de vie alternatifs, écologie avant l’heure, refus du travail aliénant, égalité des sexes... Soixante ans avant la contre-culture, ils en portaient déjà les espoirs. Ils en préfiguraient aussi les errances et les échecs. Et puis, ce qualificatif de Bandits tragiques que leur avait forgé Victor Méric... J’ai voulu savoir qui ils étaient vraiment. Au fil du temps, j’ai glané ce que j’ai pu trouver sur eux, sans but précis. L’idée d’en faire un roman est née alors que je terminais l’écriture de Tranchecaille.
Pourquoi vous être attaché à André Soudy plus qu’à des figures plus connues comme Bonnot ou Raymond la science ?
J’ai choisi le plus jeune du groupe, le plus fragile. Tuberculeux jusqu’à la moelle, malheureux en amour, rêveur, titi parigot, mauvaise graine... On l’imagine à mi chemin entre Pierrot et l’Antoine Doisnel des Quatre cents coups, mais avec une dimension tragique que lui confèrent la poisse et l’imminence de la mort. Il répète à l’envi qu’il n’a pas de chance, il ne se plaint pas pour autant, il constate. Il sait qu’il finira mal. Il rejoint « la bande » quand ses membres ont déjà toutes les polices aux trousses. C’est un perdant magnifique. J’ai eu envie de m’attacher à ses pas. Qu’ils aient laissé peu de traces ouvrait sur l’imaginaire.
La construction du roman adopte cinq ou six modes narratifs différents. Récit traditionnel, monologues, parties scénarisées et ce que vous présentez comme des feuilles volantes et des arrêts sur image...
Comment faire le portrait de quelqu’un dont nul ne sait finalement grand-chose ? J’ai essayé un récit classique, puis une écriture à la première personne, un monologue. Cela ne me satisfaisait pas. Soudy devait garder ses fêlures et ce côté lunaire que reflètent ses photos. Il fallait une construction qui donne à le voir alternativement de l’intérieur, à travers la vérité qu’il laisse filtrer, et de l’extérieur, comme sur un écran de cinéma ou la toile d’un peintre. Son portrait devait donner le sentiment d’un matériau dont on aurait rassemblé les composants sans les fixer totalement. Du reste, on ne fixe jamais qu’un instant suspendu. J’ai pensé aux touches des impressionnistes, aux séries de Monet où le motif change avec la lumière de l’instant, aux collages chers aux surréalistes, à certains films d’Agnès Varda, au Requiem pour Billy the kid d’Anne Feinsilber ou I’m not there, de Todd Haynes sur Bob Dylan qui détournent le genre biographique pour faire œuvre de fiction et livrer une vision subjective de leur sujet. A des romans aussi qui me semblent procéder d’une façon proche : La jeune fille et la vierge, d’Alina Reyes, La dame blanche de Christian Bobin... Dire quelqu’un à travers des chemins de traverse...
Les chapitres du livre sont conçus comme des croquis, des séquences assemblées sur une table de montage. Les arrêts sur images auxquels vous faîtes allusion permettent d’arrêter l’action, comme on le fait en appuyant sur la touche « pause » d’un lecteur dvd pour voir une des 24 images/secondes qui font le mouvement. Les feuilles volantes, elles, sont des petites balades de papier à partir de textes littéraires - Calet, Arletty, Brassens, Aragon, Vian, Breton...- dans lesquels j’ai trouvé trace de la bande à Bonnot. L’ensemble doit constituer un portrait collage. Ou une esquisse. Esquisse est d’ailleurs le sous-titre du roman.
Il est publié chez Gallimard, comme vos précédents romans, mais dans la collection Blanche, cette fois...
On ignore toujours où conduisent les chemins de traverse. Je suis parti sur un roman noir avec l’envie d’y mettre un peu de blanc. Les cloisons qui séparent tel ou tel genre littéraire sont artificielles. Lecteur, il est des livres que j’aime, d’autre pas. Point. Quand Aurélien Masson, le directeur de la Série noire m’a dit que L’homme à la carabine était en lecture à la Blanche, j’ai d’abord été ravi qu’il lui ait plu. Puis ravi d’être dans une maison qui permette à ses auteurs de faire des allers et des retours dans ses différentes collections. Ravi, enfin, que le projet, dans sa forme, soit soutenu. Que voulez-vous, je suis un éternel ravi.
Et les photos ?
Elles apportent une dimension indispensable à la balade : celle de la flânerie. On se promène et on prend le temps de s’arrêter pour laisser son esprit vagabonder. Les photos ne servent pas à illustrer un propos ou apporter un élément biographique. Elles n’ont d’autre utilité que de faire rêver. Elles proviennent des archives de la police. J’avais travaillé dessus pour écrire certains des arrêts sur images. J’avais songé à les inclure dans le livre mais je n’avais pas osé le demander. Je pensais que cela ne se faisait pas, que ce n’était pas dans la ligne éditoriale... C’est Aurélien Masson, encore, qui a lâché, devant un plat de spaghettis au citron : « je ne sais pas ce que tu en penses, mais je verrais bien des photos, comme dans Nadja de Breton »... Soudy ressemble à un personnage de Magritte. Aurélien ne connaissait pourtant pas son visage. Un hasard objectif. La dimension du rêve...
propos recueillis par Scup pour pecherot.com