– Tragédie ordinaire
Juin 1917 au chemin des Dames. Le soldat Jonas vient d’être passé par les armes, condamné en conseil de guerre pour l’assassinat de son lieutenant, malgré les efforts méritoires de son défenseur, le capitaine Duparc, persuadé à juste titre de son innocence.
Qu’importe, il fallait faire un exemple. Après la désastreuse offensive du général Nivelle, le moral des troupes est au plus bas. La mutinerie menace, et Jonas, dont on ne sait pas très bien si c’est un naïf inadapté à la vie militaire ou un réfractaire, est de toute façon un élément douteux qu’il vaut mieux éliminer pour l’exemple.
On peut s’étonner, comme le fait un gradé, que l’histoire d’un procès inique devienne un tel enjeu sur un champ de bataille. "Nom de Dieu, Duparc, tous les jours les hommes tombent par centaines. Vous avez lu les chiffres de l’offensive Nivelle ? Plus de quarante mille morts en quatorze jours. Sans parler des disparus. Quant aux blessés, on ne peut même pas les recenser... Et vous êtes là à vous accrocher à votre Jonas. Il sera mort demain. Quoi que vous fassiez. Au poteau ou au feu, quelle importance ?" On peut aussi trouver étrange qu’une affaire dont le dénouement est connu d’emblée constitue la trame d’une intrigue policière. Le propos de l’auteur n’est pas d’entraîner le lecteur dans les rebondissements d’une enquête, mais de brosser, à travers une série de témoignages, le portrait d’un homme harassé, broyé par une entreprise infernale de destruction, et qui veut croire, malgré tout, à l’existence de la justice. "Ce n’est pas parce qu’il y a une multitude que l’individu perd sa valeur. Une addition de nombres c’est ce qui donne les massacres de masse." La réussite de ce roman c’est de faire entendre la voix singulière d’un homme destiné à n’être qu’un chiffre insignifiant dans le bilan monstrueux des pertes. Le résultat peut sembler dérisoire mais ce n’est pas parce que les combats sont perdus d’avance qu’il ne faut pas les mener.
© Gérard Meudal, Le Monde