– Un Poulbot chez Bonnot
C’est un livre puzzle. Un album de famille, presque. On y découvre, d’abord, sur la couverture, une image : celle d’un homme à la carabine. Le manteau long et le chapeau mou masquent ses formes, son visage. Reste l’oeil. Un oeil vif qui renvoie un demi-regard déterminé. Mais qui est-il, l’homme à la carabine ? Et, surtout, comment devient-on cet "homme à la carabine" dont les journaux ne cessent de parler en cette année 1912 ?
Tout est là. On ne naît pas bandit, on le devient. "Le déterminisme, vous lui avez filé un sacré coup de pouce", dira-t-il du fond de sa prison. Cet homme s’appelle André Soudy. Il vient de passer la vingtaine. Il a rejoint les "bandits tragiques" qui défraient la chronique, suscitent l’admiration ou l’effroi : la bande à Bonnot. Qu’est-ce qui a conduit André Soudy à devenir l’un des membres de ce gang ? Quel enchaînement de circonstances ? Quelle société ? Ce sont les questions que pose Patrick Pécherot dans un roman qui tient à la fois de l’enquête historique, de la fable et de la fiction. Passionnant de bout en bout. Glaçant, dans les dernières pages, lorsque Pécherot évoque les ultimes heures de Soudy, le pas silencieux des matons, à 3 heures du matin, à travers les couloirs de la prison de la Santé, le bruit des sabots dans la nuit jusqu’à cette place publique où se tient la Veuve. André Soudy a été guillotiné au mois de juin 1913. Il était l’homme à la carabine. Il n’avait jamais tué personne. Pourquoi Soudy ? A cause de ces rares photos où l’on voit un jeune homme pencher la tête, le regard dans le vide. Décalé, André Soudy. Ce gamin des rues, poulbot aux poches crevées, tentait de survivre dans cette France du début du siècle que saignera à blanc, quelques années plus tard, une Grande Guerre que personne n’avait vu venir. Soudy avait un nénuphar dans la poitrine, comme dirait Boris Vian. Tuberculeux. Jules Bonnot, qui fut jadis - ironie suprême - le chauffeur de sir Arthur Conan Doyle, l’emmène avec lui défier le patron du Figaro. Il suit, Soudy. Il fréquente les milieux anarchistes, magnifiquement tirés de l’oubli par Pécherot. Ce roman n’est pas une biographie. Et la langue, savoureuse, heurtée, gouleyante, qu’utilise Patrick Pécherot fait entrer Soudy dans les rangs des grands héros de la littérature.
© François Busnel, L’Express