Je te salue ma rue
S’adressant à Paname, Léo Ferré compatit à son ennui dès l’instant où il rend conscience que les gens vivent chez elle mais ne la voient jamais. S’il était toujours de ce monde, le poète aurait salué Petit éloge des coins de rue, de Patrick Pécherot, d’un « Je vous remercie ». Même si la rue de l’écrivain est parisienne, les Marseillais sauront prendre le même chemin des écoliers et retrouver ce bel air, d’où s’exhalait naguère (donc il y a peu de temps) le parfum contestataire du temps des cerises ! Car c’est avant tout aux couches les plus modestes que Pécherot rend hommage, à tous ces gens « qu’on ne voit pas à force de ne jamais les regarder ». Sans oublier les poêles à charbon, les « ouvreuses harnachées d’une corbeille d’osier », les immigrés « tombés du bled comme on choit de la lune », les Frères Jacques tournant sur la platine, les filles aux bas nylon, les pièces « entortillées dans un journal » et jetées depuis la fenêtre à un chanteur des rues, les boîtes à fricot qui nous rappellent que « les buildings ne poussent pas tout seul, qu’il en faut des gamelles à chantier pour sortir de terre », les cités-jardins qui avaient « la beauté des femmes d’usine » et la couverture du dictionnaire Larousse présentant « une femme qui ressemblait à la Dame du lac soufflant le savoir aux quatre vents ». L’un des plus beaux textes de notre Littérature (la majuscule sied bien aux textes de Pécherot). Nostalgique à en chialer...de bonheur !
© Anne-Marie Mitchell, La Marseillaise