Le roman s’ouvre à l’aube du XXème siècle, au cœur du Nouveau Monde. Les dernières flèches indiennes ont à peine fini de siffler que déjà l’Amérique invente le Wild West show. Dans le décor en carton-pâte erre le mystérieux Dana. A ses trousses, un détective privé. Quelque part à Paris, le vieux Marceau, malade des vapeurs d’alcool et de laudanum, est obsédé par l’idée de retrouver ce fantôme de la Commune. Marceau accuse Dana d’avoir déserté Paris avec le cœur de la femme qu’il aimait et sur la conscience la vie d’un innocent. De page de prose en page de prose, l’intrigue se met en place avec la torpeur d’un spleen – savoureux à l’heure des thrillers et des polars rondement menés. En lisant les rapports du détective américain, Marceau égrène ses souvenirs. Que retient-on du Paris de 1871, sinon nos lectures lycéennes, les barricades d’Hugo ? A mille lieues des images d’Epinal, Paris sous la Commune. S’y jouent l’avancée ou le recul de la République, s’y peint le visage du siècle industriel, s’y exerce un esprit français, zutiste, intellectuel. S’y croisent Gill, Courbet, Louise Michel, Verlaine, Rimbaud, Carjat. Ils sont bourreaux, victimes, poètes, va-t-en-guerre ou velléitaires, spirites amateurs ou voleurs de feu. Le mystère, l’Histoire et la poésie s’imbriquent, la mémoire et le présent valsent mélancoliquement, et Paris, toujours, est belle à pleurer sous la plume de Pécherot. Incantatoire, savant, sublime, Une plaie ouverte fait du roman noir un bateau ivre à remonter le temps.
Elise Lépine