-La Marseillaise

Dana, t’es où ? Pour les soixante-dix ans de la Série Noire, Patrick Pécherot est au zénith de son talent.

Le premier juin 1871, Valentin Louis Eugène Dana est condamné à mort par contumace. Une photographie, prise à Paris cette année-là, nous le montre jeune et de belle tournure. Que sait-on de lui au début de Une plaie ouverte ? Rien, sinon qu’il aurait traversé l’Atlantique et rejoint le Wild West Show de Bill Cody, ses "roulottes aux longueurs de péniches, wagons casinos, chariots charges de décors, de gradins, de toiles, de cordages, de cages, de bêtes, de fourrage, de viande séchée, de tonneaux d’alcool et de barils de poudre. " Mais trop de preuves manquent. Pourquoi l’insomniaque Marceau (accro au laudanum) le cherche-t-il ? Pourquoi Dana a-t-il tué ce passant indigné du massacre des otages de la rue Haxo ? Est-ce bien lui le coupable et a-t-il vraiment retroussé ses manches lorsque l’heure de la Commune a sonné ? A-t-il combattu avec les armes pour que la terre soit enfin "au paysan qui la cultive, la mine au mineur qui l’exploite, l’usine à l’ouvrier qui la fait prospérer"  ? A-t-il seulement existé ? Ou n’est-il qu’une chimère créée pour fuir sa propre réalité ?Défiant les contraintes de la narration et n’en faisant - c’est tant mieux - qu’à sa plume, comme on n’en fait qu’à sa tête, Patrick Pécherot, l’inoubliable auteur de Tranchecaille et de Petit éloge des coins de rue, nous rappelle (les poings tendus et d’une écriture qui n’appartient qu’à lui, parce que reconnaissable entre toutes) le temps des cerises, du gai rossignol et du merle moqueur. Défilent alors devant nos yeux, aux côtés des éclopés et amputés de la défaite de Sedan, les personnages (réels ou fictifs) qui ont gravé leur nom dans le marbre des barricades, des statues déboulonnées, et des fusillades dans Paris. Pour ne citer que Courbet, le "maître à l’odeur de soufre et de lit défait", dont les toiles choquent les bourgeois. Vallès et son chapeau en tuyau d’orgue. Verlaine titubant d’ivresse. Louise Michel, toujours prête à libérer le peuple de l’ignorance. Et, bien entendu, Marceau, l’halluciné, qu’obsèdent la disparition de Rimbaud, les chairs tuméfiées des forçats. Marceau dans la tête duquel, des années plus tard, le cinéma (qui commence à donner essor à son imagination) ne cessera de tourner. Un roman, aux courts chapitres, telles les images rapides et fuyantes des écrans du muet, mais dont la minutie des détails concourt à la recherche de la description exacte. Une fiction rare, écrite par un romancier à la muse jamais appauvrie. Personne ne la lira avec indifférence. Elle comptera parmi les œuvres les plus abouties de la brillante carrière de son auteur. À quand le prochain livre ? Nous nous impatientons déjà.

Anne-Marie Mitchell