– Patrick Pécherot tantôt sous la casaque noire tantôt sous la casaque blanche réussit parfaitement, depuis une dizaine de romans, l’hybridation entre polar et roman historique. C’est la force de la littérature populaire et du mauvais genre de pouvoir tout se permettre en la matière. Naguère pour évoquer le Paris d’entre les deux guerres mondiales il avait choisi des intrigues fouillées pour nous les milieux libertaires et surréalistes des années 20 dans Les Brouillards de la Butte. Dans Une plaie ouverte son dernier roman, Pécherot nous ramène à la Commune par des chemins détournés puisque cela commence au début du XXème siècle, aux Etats Unis dans le sillage du Buffalo Bill’s Wild West Show. Buffalo Bill, de son vrai nom Bill Cody avait assez vite compris que la légende de l’Ouest était terminée et qu’il était temps d’en faire un spectacle pour les petits et les grands.
Dans les coulisses un agent de la Pinkerton enquête pour le compte d un commanditaire français. II recherche un certain Dana qui aurait participé a la Commune de Paris il y a plus de trente ans Ce Dana, habile de ses mains comme un prestidigitateur et qui fuit obstinément les objectifs des premiers appareils photos existe-t-il vraiment ? Pécherot nous fait ensuite revenir a la période de la Commune. Marceau fait partie d’une bande qui réunit au moment de la guerre de 70 une faune variée. II y a ce jeune voyou androgyne crasseux et lumineux dont on apprendra qu’il s appelle Rimbaud II y a des généraux qui ont tout de têtes brûlées espérant un monde meilleur, comme Cluseret. On croise aussi, à la pension Laveur ou dans le restaurant coopératif d Eugene Varlin, Courbet qui ne va pas tarder à faire mettre bas la colonne Vendôme. Parfois ils sont rejoints par Verlaine, toujours entre deux absinthes, poète et employé municipal en compagnie d’un collègue, un certain Amédée. Au fur et à mesure que la Commune perd du terrain et ce jusqu’à la semaine sanglante de mai 71, la bande se perd de vue. Devant les massacres versaillais, le gouvernement provisoire, en désespoir de cause puisqu’il avait aboli la peine de mort, fait fusiller des otages rue Haxo Parmi eux, le pauvre Amédée qui n’était coupable de rien. Marceau survit, lui, à la semaine sanglante et enquête dans le Paris de 1898 où, après la loi d amnistie, d’anciens communards devenus flics traquent d’anciens communards soupçonnés d aider les anarchistes comme Ravachol qui veulent faire sauter l’Assemblée Nationale. Drogué au laudanum alors que se jouent les prémices de l’affaire Dreyfus, Marceau poursuit sa quête obsessionnelle de Dana. Bien sûr dans les méandres du temps, les apparences sont trompeuses…
Pécherot, qui n’a jamais aussi bien écrit, à coup de phrases courtes, entêtantes, qui scandent la mélancolie du temps qui passe et des rendez-vous ratés de I histoire et de I’émancipation, nous promène, à tous les sens du terme, des grands espaces de I Ouest américain aux dernières barricades de la Commune en passant par le Paris fin de Siècle. Et l’on finit par réciter les vers du jeune homme aux semelles de vents dans un saloon tandis que Courbet peint le sexe d’une femme, que Louise Michel encore institutrice apprend à lire a la future madame Verlaine et que I’on peut retrouver sur les premiers westerns documentaires américains aux images tressautantes, importés par Pathé la silhouette d’un ami qui a trahi, d un amour perdu, d un idéal envolé.
Jérôme Leroy