Marianne

Plaie d’argent devient mortelle

 Une plaie ouverte pourrait être une bonne définition de l’histoire. Surtout quand elle s’écrit en marge des manuels officiels, de leurs événements en majuscules et sans faux plis, de leurs grands hommes canonisés à coups de clairon, de remises de médailles et de beaucoup de mensonges. En somme celle, trop occultée, des sans-grade, des dérangeurs d’ordre, des pauvres hères ou des aventuriers aux semelles de vent que Patrick Pécherot s’évertue à mettre en première ligne depuis une dizaine de livres, situés notamment dans le Paris de la Première Guerre mondiale ou d’entre les deux guerres.
Cette fois, il remonte plus loin dans le temps et l’espace et embarque ses personnages du Paris de la guerre franco-prussienne de 1870 vers les plaines du Dakota et le tout début de l’autre siècle, en 1905. N’appartenant pas stricto sensu à la confrérie des historiens, Patrick Pécherot livre bien ici une œuvre de romancier et plus précisément de romancier noir, du genre à douter des apparences et à fouiller dans cette autre « plaie ouverte » que demeure tout individu en âge de faire potentiellement du mal, de renier ses idéaux et éventuellement ses frères d’armes. Serait-ce le portrait vrai de Dana, ce fantôme que poursuit jusqu’outre-Atlantique Marceau, ancien communard, obsédé par celui qui n’est peut-être qu’une « image, rien de plus », écrit Pécherot, citant Nerval ?
La quête de Marceau est bien celle propre à un polar, au point qu’elle fait même intervenir les limiers de la célèbre agence de détectives Pinkerton pour laquelle travailla le grand Dashiell Hammett avant de prendre son envol. Mais, dans les filets, Pécherot rapporte surtout une époque, ses héros ordinaires fauchés par la boucherie guerrière, ses généraux défenseurs du peuple, ses insurgés et ses planqués. Ou encore, saisis dans le cours de leurs vies, Courbet, Louise Michel, Maxime Vuillaume, Jules Vallès, les silhouettes de Verlaine et Rimbaud. Et l’ombre portée de l’affaire Dreyfus. Au récit ample et tellurique que supportait le sujet, il a préféré de courtes expositions, rarement plus de deux pages, mais toutes ciselées à la quasi-perfection.
En clair : depuis Hervé Le Corre, rien n’avait été aussi superbement écrit dans la fiction de genre hexagonale. On sait ce qu’il advint de la Commune,« des cerises d’amour tombées en gouttes de sang ». Ne serait-ce que pour connaître, peut-être, l’issue de la recherche du Dana perdu, voilà une lecture obligatoire. .

Alain Leauthier