" Ne cherchez pas à savoir, avant l’heure, où vous allez ..."

Avec Une plaie ouverte vous revenez à la Série noire ?

Je n’ai jamais quitté la Série noire. Mes deux précédents livres ont paru en collections blanches, celui-ci dans la noire, j’ignore quelle couleur aura le prochain. Pourquoi faudrait-il être noir ou blanc, Beatles ou Rolling Stones, jazz ou java et jamais les deux ? On me range où on veut me ranger, la frontière entre le roman de genre et la littérature générale n’est heureusement pas hermétique. Du reste, c’est Aurélien Masson, le responsable de la « SN » qui avait décidé de proposer L’homme à la carabine, mon précédent roman, au comité de lecture de la Blanche. Les couleurs sont comme celles du temps, elles changent, reviennent, alternent. Qu’Aurélien m’ait proposé de faire partie des publications qui ont marqué les soixante dix-ans de la collection, c’est un beau cadeau, non ?

Après les années 30 et 40, la guerre de 14, vous continuez à remonter le temps, pourtant, vous refusez de vous définir comme un auteur de polars historiques...

Je n’ai pas d’attirance particulière pour ce genre. Les thèmes dont je traite sont intemporels. Que mes récits se déroulent dans telle ou telle période de l’Histoire résulte de l’intérêt que je porte à des figures, des milieux ou des évènements qui ont exercé une influence sur mon propre parcours. Le passé m’intéresse comme un terreau dans lequel nous plongeons nos racines. Et qui parfois éclaire le présent. A l’heure de l’immédiateté la mémoire s’efface vite...

La construction du récit est inhabituelle, elle peut paraître déroutante…

Je n’ai pas cherché à dérouter. Avec Tranchecaille et surtout L’homme à la carabine, j’étais déjà sorti d’une construction linéaire. Une plaie ouverte abordant les thèmes de la mémoire, des apparences, de l’écriture de l’Histoire, la narration devait le refléter. Le récit montre un homme à la recherche d’un de ses compagnons disparus trente ans plus tôt. En trente années, les souvenirs se sont transformés, la mémoire a retouché la réalité. J’ai voulu que la construction du roman reflète ce trouble. Qu’est-ce qui est vrai ? Comment les années transforment-elles à notre insu les épisodes de notre vie ? Quelle distorsion opèrent-elles sur ce que nous croyons avoir vécu ? Le récit ne pouvait y répondre qu’en passant par des zones d’ombre, de flou. Elles renvoient aussi à ce que le cerveau de Marceau, mon personnage central, a occulté. Sa recherche de Dana lui fait remonter le temps, son enquête devient quête. Celle de sa propre jeunesse. Ses souvenirs s’organisent comme les pièces d’un puzzle. Quand on en commence un, elles sont en désordre, elles ne s’emboîtent que peu à peu, il faut parfois du temps pour y parvenir. Mon récit fonctionne ainsi. Y compris dans les allers et retours temporels ou géographiques entre la France et les Etats-Unis. Plusieurs blogs ont écrit que le livre s’adresse à des « lecteurs exigeants ». Je ne sais pas précisément ce qu’est un lecteur exigeant mais l’avertissement n’est peut-être pas infondé si on s’attend à lire un polar bâti selon des normes qui seraient celles du genre. Je n’aime pas trop les normes, je crois que la richesse du genre noir est justement de ne pas en avoir. Cela étant, je conçois que des lecteurs soient troublés par la construction de mon bouquin, mais quand on s’embarque pour une balade doit-on toujours emprunter les lignes droites ? Il m’arrive, en dédicace, de prévenir : ne cherchez pas à savoir, avant l’heure, où vous allez. Prenez le temps.

propos recueillis par Scup pour pecherot.com, photo de C.Guillaumot, Festival Polars du Sud, Toulouse octobre 2015