par David Houzer (*)

Ce matin Patrick s’est réveillé àBesançon. Cela fait quelques jours qu’il y dort. Les nuits sont fraîches. Il a laissé la fenêtre de l’hôtel ouverte. Il aime bien s’endormir en écoutant la pluie.
Ça lui rappelle la Normandie. Les longues journées passées àécrire. Le cliquetis du clavier comme un écho àcelui des gouttes d’eau sur les volets grenat de la maison àCaudebec-en-Caux. Patrick termine souvent ses livres àCaudebec. Comme un rituel. Un pèlerinage àla Hugo. Victor Hugo a d’ailleurs perdu sa fille dans un petit village, juste àcôté. Patrick y pense souvent quand il écrit là-bas. Car la mémoire, Patrick, c’est son affaire. Certains auraient pu penser qu’il était davantage intéressé par l’Histoire. Celle avec le « H  » majuscule. Mais non, Patrick lui préfère les petites histoires, de celles qui s’inscrivent dans la Mémoire collective. La grande Mémoire. Avec le M immense, bien appuyé sur ses deux jambes. La Mémoire de son pays. Pas la joyeuse, non. Mais celle qui a laissé des cicatrices. Et ce n’est pas le roi « machin  », le général « truc  » qui l’intéresse. Mais les gens comme lui. Patrick. Ceux qui peinent le matin àse lever. Et qui souvent choisissent des voies de traverse pour échapper àla fatalité. Des vies rudes, au charbon, àl’eau de vie, au pain gris. Mais des vies libres ! Patrick lui a choisi d’écrire pour être libre. Et parce qu’il veut raconter des vérités, il les écrit en noir ses histoires. Parce que la vie, elle l’est souvent, noire…

Hier soir Patrick était àSancey-le-Grand. C’est déjàle Haut-Doubs Sancey-le-Grand. On lui aurait bien fait goà»ter la saucisse locale. Celle de Morteau. Fumée au résineux. Mais Patrick lui, le cochon, même fermier, comme le bÅ“uf ou la volaille d’ailleurs, il l’aime sur ses pattes, et de préférence loin des abattoirs… Par contre le petit jaune régional, pas celui anisé des distilleries de Pontarlier, non, celui des coteaux du Jura, àla robe dorée et au goà»t de noix, celui-làil l’a apprécié. Patrick s’est toujours méfié des vins de prestige. Ceux dont l’étiquette prime sur le plaisir. A ceux-làilpréfère les appellations moins glorieuses, aux arômes moins flatteurs mais plus francs. Des vins sauvages. Presque autant que les paysans qui les cultivent et les vendangent.

Patrick aurait aimé rester plus longtemps dans le Haut-Doubs. Il aurait aimé voir Ornans. Parce qu’àOrnans, Courbet y est né. Et Gustave Courbet, Patrick, il aime le bonhomme. Le peintre bien sà»r. Celui de « L’origine du monde  », mais surtout celui de « L’enterrement àOrnans  », avec sa cohorte de pleureuses sous le crucifix, ou des « Casseurs de Pierre  » les outils àla main. Le peintre du réalisme qui magnifie les simples gens. Comme Patrick dans ses livres d’ailleurs. Mais de Gustave Courbet, Patrick aime aussi l’engagement citoyen. Surtout le rôle qu’il a joué dans l’une des crises les plus violentes de l’histoire française, en 1871 àParis, aux côtés des Communards.

Hier soir, àBesançon, Patrick a retrouvé sa chambre d’hôtel. Il a ouvert la fenêtre en arrivant. Il ne pleut plus. Il jette un œil et admire la vue nocturne.Une caserne militaire. Il n’avait pas fait attention la veille. Ce soir la caserne sommeille. Il pense àtous ces jeunes sacrifiés car ils en avaient l’âge. Il n’aime pas la guerre. Quant aux militaires, qu’ils continuent àdormir…
Avant de se coucher il aurait pu écrire mais préfère allumer la télévision. Mais pas pour regarder un film. Le cinéma mérite la salle obscure et son immense toile tendue. Pas le petit poste accroché au plafond. Même avec un écran plat. La sixième chaîne diffuse un épisode de la série « Justified  ». Il reconnait l’acteur principal. Il était shérif dans une autre série américaine : « Deadwood  » sur la célèbre ville du Dakota du Sud. Cette ville créée illégalement sur un territoire indien au moment de la ruée vers l’or. Patrick aime les westerns. Et àDeadwood ont vécus des mythes de la conquête de l’ouest américain : Wild Bill Hickock et Martha Jane Cannary alias Calamity Jane. Patrick pense que ces héros américains, dont les histoires de vie ont été fortement romancées, ressemblent àses propres personnages de roman. Ils en ont l’étoffe, et les failles aussi. Patrick s’endort en se disant que la Franche-Comté, c’est un peu le Far-West…

Ce matin, Patrick se réveille. Fatigué. Encore couché sous la couverture surpiquée de son lit d’hospitalité, il décide de ne pas se raser. Il regarde le programme de la journée. Montbéliard. Puis la Haute-Saône. La Haute-Saône… Ils y font du vin ?

(*) Directeur de la Médiathèque F. Mitterrand Communauté de Communes du Pays d’Héricourt