– « Famille… connerie… » Ses derniers mots, monsieur. Je vous les rapporte tels qu’il les a prononcés. Ils sont drôles, n’est-ce pas ? Enfin drôles… « Bizarres » conviendrait mieux… Pas tant à cause de ce qu’ils veulent dire. Ça, on comprend, et puis, c’est affaire d’opinion. Non, l’étrange est qu’ils soient venus à la seconde où il passait l’arme à gauche. Dans quel fin fond du ciboulot des trucs pareils peuvent nicher pour remonter à ce moment-là. « Famille… connerie… ».
On devrait préparer ses ultimes paroles, vous ne croyez pas ? Les miennes, je les voudrais bien macérées dans le tonneau de mon âme. Des vérités fermentées, persillées comme une viande à jus. Les servir à la façon dont on passe un plat, ce serait une bonne manière de quitter la table. Notez, je n’ai rien préparé. Si la balle qui l’a fauché avait été pour moi, je serais resté coi. Et vous ? Imaginez. Une boutonnière coquelicot vient d’ouvrir votre poitrine. Vos intestins glissent entre vos doigts, plus chauds qu’une longueur de boudin. À moins que la margoulette fendue en deux comme une pastèque vous fasse entrevoir ce qu’il y a dedans. Vous avez l’embarras du choix, la guerre offre tant de façons de mourir. Toujours est-il que les secondes vous sont comptées et justement, vous voilà sec. Rien à déclarer. En pareil cas, on doit s’accrocher à la première image qui passe comme à une bouée. Tenez, je ferme les yeux, il m’en vient une, j’ai cinq ans, pour la première fois je vais seul aux commissions, j’ai si peur de pas me dépatouiller que je m’en répète la liste. Une livre de saucisses, six œufs, une mesure de lentilles. Vingt ans plus tard, mes boyaux à l’air ou mon crâne en compote, c’est peut-être ça qui sortirait. « Saucisses, lentilles… » Pour un dernier souffle, ça en manque.