Belleville-Barcelone : un Brouillards de la Butte 2 ?
L’expression impliquant une idée de procédé ou de redite : certainement pas. A travers l’hommage à Malet/Burma et l’intrigue du polar, les Brouillards étaient un roman d’apprentissage. Celui de Pipette, le héros du livre, guidé dans son passage ado/adulte par le trio Leboeuf, Breton, Pauline. Rien de tel dans Belleville. J’ai tourné longtemps autour de l’idée même de ce livre. Après les Brouillards, je ne parvenais pas à m’extraire du climat dans lequel j’avais baigné en l’écrivant. J’éprouvais un mal fou à me sortir de l’entre-deux guerres, à quitter le Paris populaire de cette époque. Comme une impossibilité à couper le cordon. Je m’en suis ouvert à Patrick Raynal. Il m’a dit que je n’en avais sans doute pas terminé avec mon sujet, qu’il me fallait songer à une suite. Je ne l’avais pas envisagé. Ni en écrivant les Brouillards, ni après qu’ils aient obtenu le Grand prix de littérature policière. J’avais même tout fait pour brûler les ponts derrière moi, à tel point que j’ai dû inventer des personnages nouveaux (seul Breton fait son retour aux côtés du héros). Pourtant, la suggestion a fait son chemin. Pas dans le dessein de surfer sur le succès du livre mais pour vider le sac que je continuais à porter.
Pourquoi 1938 ?
L’année me semble emblématique, charnière…En France, les grandes espérances du Front populaire s’achèvent, en Europe le fascisme gagne du terrain, le monde s’apprête à basculer dans l’horreur nazie…Si rien n’est joué, tout pousse à la catastrophe. Sur un autre plan, compte tenu de mes personnages, il m’était impossible de ne pas aborder la guerre d’Espagne. Là aussi 1938 correspond à un basculement. La république agonise, Franco a déjà gagné. Enfin,la confusion des idées qu’on observe à l’époque n’est pas sans m’évoquer celle qui se manifeste aujourd’hui.
Land and Freedom plutôt que L’Espoir ?
Que l’URSS ait aidé la république espagnole ne change rien à la nature du régime soviétique. Staline et l’internationale communiste n’étaient pas désintéressés. Ils ont tout fait pour exporter leur modèle - en commençant par leurs méthodes - dans un pays où leurs idées étaient minoritaires au sein du peuple et des partis de gauche. Quelle que soit la valeur humaine et le sacrifice de ceux qui ont combattu dans les Brigades internationales, on ne peut gommer cette réalité. Au jeu des citations, plus encore que le film de Ken Loach, je répondrai L’Ombre rouge de Jean-Louis Comolli.
Polar historique ?
Le genre étiqueté comme tel me semble trop souvent propice à un étalage de références. Comme ces films en costumes où pas un bouton de guêtre ne manque, mais qui ne parviennent pas à restituer le climat d’une époque. Ce sont les atmosphères qui m’intéressent. Pas les reconstitutions des musées de cire. A côté de la réalité des faits, je revendique le droit à l’invention, à la création. La Série Noire a vocation à écrire son temps, cela ne signifie pas qu’elle en ait une conception étroite. Elle a souvent publié des romans qui, pour parler du siècle, se projetaient dans un passé proche. Le Boucher des Hurlus, de Jean Amila, Le Der des ders, de Didier Daeninckx, Go by go, de Joe Jackson, Hammett de Joe Gores… Le noir est un état d’esprit, une musique. Qu’elle résonne en 2004 ou en 1938, l’important est qu’elle résonne.
Propos recueillis par Scup pour pecherot.com
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