Où l’on voit André Breton jouer de l’automatique et pas seulement de l’écriture. En pleine nuit, au beau milieu du cimetière de Montmartre ! Dans le Paris des années 1920, des émules de la bande à Bonnot poursuivent leur entreprise de « récupérations individuelles », mais avec moins de bonheur que Raymond la science et consorts. Après un fric-frac chez un aristo, ils se retrouvent en possession d’un coffre-fort dont le contenu s’avère plutôt encombrant : un cadavre. Flairant une affaire de chantage qui les dépasse, ils viennent de mettre le doigt dans un sacré engrenage qui va multiplier les macchabées. Ils auront bien besoin de l’intervention des surréalistes de la rue Fontaine pour se tirer de ce mauvais pas et découvrir que leurs petites arnaques ne sont que des broutilles comparées au pillage à grande échelle auquel se sont livrés certains gros industriels après la première guerre mondiale. L’évocation du Montmartre des années folles où truands, anarchistes « illégalistes », surréalistes se croisent et s’entraident à l’occasion, en rêvant d’un monde où « la beauté sera convulsive ou ne sera pas » est parfaitement réussie. Même le langage sone juste, on y « brûle le dur », on va respirer « le sirop de la rue », mais ce n’est pas un pastiche. Après tout, le pont de Tolbiac n’a pas le monopole du brouillard. Celui de la Butte est tout aussi fascinant…Ce bal des innocents n’est pas un épisode inattendu des Nouveaux Mystères de Paris, c’est l’acte de naissance de Nestor Burma et le plus bel hommage qu’on pouvait rêver à Léo Malet.
– C’est Léo qui serait content. Léo Malet. Car voilà un petit polar qui, mine de rien, lui rend un formidable et fraternel hommage. Plutôt que de se coltiner la suite des « Nouveaux Mystères de Paris », impossible défi (une aventure de Nestor Burma par arrondissement : on sait qu’il en manque cinq pour que le compte soit rond), l’auteur s’est amusé à créer un héros ressemblant comme deux gouttes d’eau au jeune Léo. Comme lui, ce jeune anar des années 20, monté à Paris de son Midi natal, fait le chansonnier à la Vache enragée, le cabaret de Maurice Hallé, tire sur une bouffarde pour tromper la faim qui le visite plus souvent qu’à son tour, fréquente quelques Pieds-Nickelés libertaires et la bande surréaliste d’André Breton.. Le voilà embringué dans une histoire où, comme dans toute aventure de Nestor Burma, abondent les cadavres, les coups sur la caboche, les embrouilles et les scènes croquignolettes. On se souviendra longtemps de celle, déjà d’anthologie et qu’on se raconte entre potes, où l’on voit André Breton défourailler gaiement sur quelques malfrats, la nuit, dans le cimetière de Montmartre, et le narrateur à la pipe, de commenter : « Y’a pas que l’écriture qu’il maîtrisait à l’automatique. »
C’est plein d’allant, écrit dans le style à la fois goguenard et poétique qu’affectionnait Malet, relevé d’expression d’époque décochées à point nommé, et, miracle, pas un instant cela ne sombre dans le pastiche laborieux ou la reconstruction toc. Sans compter que l’intrigue nous remet en mémoire l’incroyable, mais véridique arnaque du comité des Forges s’appropriant après la guerre les usines métallurgiques allemandes de Lorraine pour une bouchée de pain…Bref, un seul mot convient pour ce tour de force : epastrouillant !
Ils sont quatre, plus ou moins anars : Leboeuf, Cottet, Raymond et un jeune monté de son Midi natal, Pipette, en train de fracturer le coffre du comte de Klerq, avenue Junot, dans le Montmartre des années 20. Et, oh stupéfaction, ils y retrouvent le cadavre d’un maître chanteur. Au cours de l’histoire, on croise André Breton, Antonin Artaud, l’objecteur de conscience Louis Lecoin, les membres du comité des Forges qui se sont entendus pour faire main basse sur la sidérurgie lorraine après la Première Guerre mondiale et l’affaire Sacco-Vanzetti mobilise les foules. A travers ce roman savoureux, Patrick Pécherot a reconstitué fidèlement une partie du 18ème arrondissement, et il rend un formidable hommage à Léo Malet.
– Bon, d’accord, la Butte Montmartre de ce polar-là sera difficielement redonnaissable par nos contemporains. Pas de place Dalida. Pas de cars de Nippons ni de louffiats empaillés à casquette gavroche. Nous sommes en 1926, et la Butte, alors, c’est prolo bohème. Un cocktail urbain qui tiendrait à la fois de la cîté des Francs-Moisins et d’un pâté de squats hantés par des plasticiens biélorusses sans vraiment de papiers. Comme du vin chaud plongé dans du Cinzano et noyé de Picon. Ca va ? Vous voyez le genre racaille, tendre et rogue ? Eh bien, sachez qu’en ce temps là le Montmartre authentique du petit matin s’enfilait au zinc « un crème et une rillette ».
La Butte, la vraie, tenez-vous-le pour dit, elle dépotait. D’autant que le héros Pipette et sa bande de mauvais garçons vaguement anars, des « illégalistes », sont sur une sale affaire : un cadavre découvert à l’occasion d’un fric-frac. La dépouille est faisandée, mais elle parle. C’est celle d’un ex-filochard du « Cri de Paris », une feuille à ragots. Mort violente. Rapport à une enquête torve qui remontait très haut dans la haute. Tout droit sur le beau linge de la Grande Guerre. Pile sur des marchands d’acier qui auraient joué les prolongations dans la partie de tranchées franco-allemande en venadant leur camelote des deux côtés de la ligne de feu.
Oubliez l’intrigue : on s’y envase un peu. Le talent de Patrick Pécherot, un maniaque dingue de Léo Malet et du surréalisme, c’est de connaître l’époque sur le bout des doigts. Et la pointe des lieux. Et de nous balader dans une Butte berlino-parnassieuse où l’on rencontre Breton et Artaud devisant sur l’art poétique ou Napoléon. Pécherot a dû se taper tous les exemplaires du « Petit Parisien » et du « Miroir du cinéma » à la BN pour reconstituer la Butte des années 20 à l’identique. Motte par motte. Pas une scène, pas un second rôle, pas un cheval, pas un passant inutile dans son film noir et graisse. L’avenue Junot, il l’a repavée avec la caillasse d’origine. Très belle dégelée aussi, rue du Moulin-Rouge quand le pote au héros, l’énorme Leboeuf, prend la défense d’une pochetronne mendiante en rançonnant des bourgeois pas charitables. Il cogne. Il tape. Il y met tout son cœur de Leboeuf. Il a ses raisons. Ses souvenirs pour lui. La pochetronne ? « C’était la Goulue, qu’il explique, de la buée sur les yeux, la reine du Moulin-Rouge. T’es trop jeune. T’as tout de même sûrement vu les affiches. Ben la Goulue, c’est elle. La gloire, ça dure pas. » Le polar à Pécherot, il tient la rue.
– Montmartre, années 20. La Bohème s’épanouit dans un parfum de liberté. Certains cherchent fortune autour du Chat noir, comme dans la chanson. D’autres, tels le narrateur âgé de dix-huit ans , exercent leur talent de rimailleurs à La Vache enragée, le cabaret de Maurice Hallé. Poète en herbe, anarchiste, le héros, surnommé Pipette à cause de sa bouffarde, fait des petits boulots pour survivre. Crieur de journaux, laveurs de bouteilles et même nettoyeurs de cadavres à la morgue. Les morts, c’est pourtant pas sa tasse de thé. Surtout quand, au cours d’une cambriole avec ses deux acolytes, il découvre un cadavre en décomposition dans un coffre fort de l’avenue Junot. Ce macchabée ne lui est pas inconnu. Le voilà parti pour une enquête pleine de surprises. Au passage, il croisera un certain André Breton, qui l’initie à l’écriture automatique. Les silhouettes de Louis Lecoin ou de la Goulue hantent également ce livre passionnant. Mais c’est surtout dans le sillage de Léo Malet que ce polar nous entraîne. La jeunesse du père de Nestor Burma a, en effet, inspiré le personnage principal. Le roman de Pécherot s’inscrit lui-même à la suite de la série inachevée des « Nouveaux Mystères de Paris » d’après un projet ébauché par Malet. Le résultat est à la hauteur des meilleurs romans de cet écrivain devenu mythique. Un pur bonheur de lecture.
– Dans le Paris populaire des années 20, lorsqu’on n’a pas de sous, il faut avoir des idées. Le jeune Pipette et ses acolytes n’en manquent pas. L’intrigue s’ouvre sur le cadavre d’un dénommé Rouleau que les compères découvrent dans le coffre-fort d’un compte qu’ils se seraient bien passer de cambrioler. Dans un premier temps, du moins, car ces mauvais garçons y voient bientôt l’occasion de faire chanter un aristocrate industriel aux occupations plus que douteuses. De maisons bourgeoises en tripots malfamés, le jeune gavroche et sa bande de petits malfrats anarchistes tentent d’éclaircir une affaire aux implications aussi inextricables que les rues de Montmartre. Ils en viennent à bout cependant, grâce à la complicité d’une petite bonne affriolante et d’un certain André Breton, rencontré dans un cabaret animé. Tandis que le fil narratif se noue entre le Sacré-Cœur et la place de Clichy, on retrouve toute l’effervescence et la splendeur d’un Paris pittoresque et à jamais révolu. Le Paris populaire et ouvrier d’un 18e où les chiffonniers et receleurs en tout genre déclinent leurs menus larcins avec humour et joie. Sur fond de revendications sociales et de révolution surréaliste, Patrick Pécherot nous dépeint une génération d’après guerre qui dénombre ses estropiés et se rallie à la cause de Sacco et Vanzetti. Dans ce troisième roman, l’auteur s’inspire librement de Léo Malet et de son mythique Nestor Burma. La langue limpide et colorée fleurit en expressions argotiques du titi parigot. D’où l’intérêt du voyage.
– C’étaient les années 20, le temps de l’après-der des ders. La poésie avait la couleur des fleurs d’anarchie, les petits truands croyaient tenir le haut du pavé mais finissaient par calancher dans le caniveau, et les grands magouilleurs industriels faisaient leur beurre de l’amitié-franco-allemande. Dans ce maelström surréaliste, on croise André Breton attablé au Cyrano, on défile pour sauver les têtes de Sacco et VAnzetti, on évoque respectueusement le grand Alexandre Jacob. Au milieu de tout cela, un quarté gagnant de Pieds nickelés qui jouent les brigands poissards, les détectives amateurs et les maîtres chanteurs occasionnels. Un quatuor déambulant dans les rues de Paname, à l’ombre de Nestor Burma l’immortel.
Patrick Pécherot, dans cet hommage décapant à Léo Malet, plante sa graine d’anar à Montmartre et signe, avec les Brouillards de la Butte, un petit bouquin qui a du coffre, formidable de drôlerie. Un polar au parfum de nostalgie rempli de dialogues argotiques dignes de Simonin. Un livre à refiler à ses aminches, ceux qui ont toujours un drapeau noir tatoué au fond du coeur.
En 1926, Pipette, poète de 18 ans, braille ses couplets sur une estrade noyée de fumée. Histoire d’arrondir ses revenus, il cambriole les riches avec sa petite bande de bras cassés. Ce soir, la chance n’est pas au rendez-vous quand le coffre-fort s’ouvre sur un cadavre qui ne sent pas la rose. Dans Les brouillards de la Butte, on regarde passer les Bugatti place Blanche, on prend un verre avec André Breton ou une dernière coupe de champagne au Zanzi Bar. Et quand la nuit s’achève, il est temps de raccompagner le fantôme de la Goulue devenue pocharde. Patrick Pécherot n’oublie jamais l’intrigue policière, rythmée, où se glisse l’ombre de Nestor Burma et d’un cinéma noir et blanc qui a "une belle gueule d’atmosphère."
« Le silence s’est installé. Epais. Seulement troublé par le bruit du vent qui charriait des bourrasques de neige. Le jour allait se lever sur Montmartre, et, par-dessus l’odeur de charogne commençait à peser celle des emmerdements qui s’amoncelaient à l’horizon. » Ce n’est pas tous les jours que des malfrats tombent sur un macchabée en ouvrant un coffre-fort. Quatrième couteau d’une bande d’illégalistes qui ressemble à s’y méprendre à un trio de Pieds Nickelés, le narrateur a un credo. Puisque la propriété c’est le vol, autant se faire brigand. Si la mode est passée, elle garde ses adeptes. D’ailleurs, ils ne pillent pas, ils récupèrent, nuance ! Entre André Breton, Antonin Artaud et la Goulue, les aventures de l’apprenti gangster ne manquent pas de panache…Patrick Pécherot a l’art du mot juste. A un tel point qu’une fois le roman refermé, on n’a plus qu’un seul désir : le faire lire.